Requiem pour Phèdre
Fin novembre, la compagnie Khroma a présenté Phèdre au théâtre des Tanneurs , deuxième volet de son triptyque autour de l’œuvre du poète grec Yanis Ritsos. Après Ismène , Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli adaptent le poème consacré à Phèdre en une veillée funèbre déchirante.
Alors, le noir se fait. De fins néons rouges déchirent l’obscurité. On entend le bruit de la cire brûlante qui tombe et s’éteint dans un bref éclair sonore. Phèdre paraît, faiblement éclairée par une lumière mobile, comme si elle s’éclairait à la bougie. Elle a décidé de se donner la mort. Elle s’en veut. Avant de rejoindre les limbes, elle a envie de parler. Il lui reste une heure à vivre. Son monologue lyrique et fiévreux se déploie dans le silence de la salle. Des chuchotements accompagnent son agonie. De temps en temps, Phèdre prononce des incantations. Ou alors n’est-ce simplement que le signe de ses remords et de sa folie. Les chuchotements s’amplifient et se mêlent à sa voix. Quand son cœur cessera de battre, la terre et les murs vibreront pour elle. Et les ombres viendront la chercher.
Il arrive parfois de sortir d’une salle de spectacle sans savoir ce qu’on a vu. Essayer de résumer la version que donne la compagnie Khroma du texte de Yanis Ritsos n’a pas beaucoup de sens. Car de sens, il en est question dans ce spectacle. On assiste à quelque chose de beau et de fragile, sans jamais tomber dans la kitscherie mélodramatique. Phèdre est là, devant nous, l’âme à nu. L’intensité du spectacle est rendue par l’interprétation de Marianne Pousseur, ou de Phèdre, on ne sait plus, tant elles se confondent. Le corps est au centre du spectacle. Celui d’une femme, celui d’une comédienne, celui d’un personnage qui meurt. La manière avec laquelle Marianne Pousseur déclame le texte de Yanis Ritsos relève presque de la prière. On se laisse traverser par les mots. L’utilisation de chuchotements empilés, de vibrations, de bruits disparates compose une musique concrète qui enveloppe le spectateur dans l’intimité de Phèdre.
Ce Phèdre est une expérience. Les lumières, les sons, la mise en scène créent une atmosphère indescriptible. Peut-être aurais-je dû lire le texte de Ritsos. Mais ce flou autour du spectacle était si agréable. Comme une sensation fugace. Comme refermer sa main sur un souvenir déjà disparu. La compagnie Kroma livrera bientôt le dernier volet de son triptyque. Celui-ci sera centré sur le personnage d’Ajax. En attendant, Phèdre n’en a pas fini de mourir sur scène.