La rétrospective culturelle 2025 de Juliette
Questionnements

En écrivant cette rétrospective 2025, je me suis surprise à retrouver, au centre de chaque œuvre, une invitation au questionnement. Elles nous montrent toutes l’importance de regarder au fond des choses, jusqu’aux entrailles de ce que c’est d’être humain, d’être un animal social dans une société qui décline parfois, pour comprendre, pour choisir, pour se révolter.
Kiss and cry de Michèle-Anne De Mey, Jaco Van Dormael et compagnie
De retour à l’Aula Magna du 28 au 31 mai 2025, Kiss & Cry, créé il y a plus de 14 ans par Michèle-Anne De Mey et Jaco Van Dormael, a de nouveau rencontré un franc succès. J’ai eu la chance d’assister à ce spectacle unique par sa multidisciplinarité1, où tout se déroule devant nos yeux. Sur scène, les mains de Michèle-Anne De Mey et Gregory Grosjean performent sur différentes maquettes miniatures placées sur scène que des machinistes font évoluer. Les doigts dansent, se touchent, et étonnement, transmettent tant d’émotions. Des performeurs lumières et sonores accompagnent l’ambiance tandis qu’un narrateur nous conte la vie d’une femme et ses différentes relations amoureuses, d’un coup de foudre à un amour passionnel, à celui bestial, à celui qui ne dure pas, et celui qui apaise. La performance audiovisuelle est retransmise en live sur un écran, et cela est parfaitement ficelé. On se croirait face à un film abouti, monté, alors que tout se passe instantanément. Le public est devenu, pour une soirée, une petite souris qui rentre dans l’envers du décor passionnant d’un film. Je suis très heureuse d’avoir pris avec moi mes jumelles qui m’ont permis de voir jusqu’aux moindres détails l’artisanat et la magie du cinéma qui se déroulait devant moi. Le plus surprenant : bien que ce ne soient que des doigts, que tout est montré dans sa création, on est transporté dans l’histoire qui devient tangible et réelle, et on en sort encore plus touché.
Bref.2 de Kyan Khojandi et Bruno Muschio
Un autre retour a fait du bruit, celui de Bref., la série qui a lancé Kyan Khojandi. Pour cette saison 2 – qu’on n’attendait pas mais qui est la bienvenue – on quitte le shortcom3 de 82 épisodes de deux à trois minutes pour six épisodes de trente à quarante minutes. On garde toutefois la recette de Bref. : une entrée dans les pensées d’un personnage principal attachant qui interagit avec des personnages archétypés, sous un fond d’humour léger et de répétition, et surtout plein de moralités cachées derrière une peinture de la vie quotidienne. Cependant, cette fois-ci, Kyan Khojandi est allé encore plus loin. Cette saison 2 a dû bouleverser beaucoup de téléspectateurs qui se sont retrouvés face à une œuvre à portée réflexive. En effet, on retrouve le personnage principal, fidèle à lui-même, si ce n’est encore plus marqué dans ses défauts et ses tocs, mais qui finit par admettre que son point de vue pouvait être erroné. La perspective subjective en faisait un narrateur non fiable, mais sa remise en question nous offre l’opportunité de faire de même, ce qui était nécessaire pour beaucoup d’entre nous.

Mickey 17 de Bong Joon-ho
Cette année, on a également eu droit à une nouvelle parodie climatique dystopique à la Don’t look up : Déni cosmique (2021). Par sur Terre cependant, mais dans l’espace. C’est Bong Joon-ho5 qui réalise Mickey 17 (2025), l’adaptation du roman Mickey7 d’Edward Ashton (2022). Le réalisateur apporte un côté plus comique et absurde pour créerune critique sociale, environnementale et sur l’humanité même. Cette science-fiction satirique se concentre sur Mickey, incarné par un Robert Pattinson déjanté qui nous dévoile une nouvelle facette de son jeu d’acteur. Le personnage est recruté comme « remplaçable » dans un vaisseau spatial ; il sert de cobaye pour des expérimentations scientifiques ou est envoyé à la mort certaine dans des missions dangereuses. S’il ne s’en sort pas vivant, il est alors cloné. On lui réimprime un nouveau corps identique et on lui implante ses souvenirs. Mais quand Mickey 18 est imprimé, il s’avère que Mickey 17 n’était en fait pas mort. Ce film farfelu, truffé de personnages et de situations plus cocasses les uns que les autres est une satire claire du consumérisme, du capitalisme, de la déshumanisation des travailleurs, du métro-boulot-dodo, de la marchandisation des corps, mais aussi un portrait de la politique actuelle, notamment avec Mark Ruffalo et son mimétisme théâtral de Trump. Peu de spectateurs ont été convaincus par le film, probablement en raison de l’attente générée par le palmarès du réalisateur6. Prise comme une œuvre à part entière, on retrouve pourtant un travail intelligent du bizarre et de l’excès qui invite à penser à l’absurdité de notre monde actuel.
Poumons de Anne-Pascale Clairembourg
Pour rester dans le thème de la crise écologique et du Capitalocene9, j’ai pu assister à la première création de mise-en-scène d’Anne-Pascale Clairembourg, co-production Le Vilar, qui se représentait du 9 au 30 janvier 2025 au théâtre du Blocry à Louvain-la-Neuve. Poumons est une reprise du texte percutant de Duncan Macmillan10. Il présente un jeune couple qui désire un enfant, mais questionne le bien-fondé dans un monde surpeuplé, menacé par les problèmes environnementaux, et dans une relation aussi fragile que l’amour peut l’être. Devant le public, le binôme de comédiens constitué de Elisa Firouzfar et Félix Vannoorenberghe joue d’une apparente complicité qui renforce chaque scène et émotion. La pièce, faites de débats, de silences poétiques, d’une touche d’humour et de beaucoup de tendresse, est un miroir des questionnements actuels quant à la responsabilité, la parentalité et l’incertitude contemporaine.

La scène est couverte de mousse et de plantes, comme pour rappeler qu’on va creuser au plus profond de la nature humaine, sans toutefois oublier la technologie, qui fait désormais partie de notre identité, avec un fond blanc sur lequel est projeté des dessins qui illustrent poétiquement l’avancée de la relation, sa fragilité, ses rapprochements, ses déchirures. On en sort changé, ou plutôt plus conscients de nos propres questionnements.
Concert de Hugo TSR – La Pluie
Le 22 février 2025, j’ai pu voir Hugo TSR à La Condition Publique (Roubaix), un bâtiment industriel qui colle à la personnalité underground du chanteur qui performait pour la tournée de son dernier album, La Pluie (2024). Dans cet album, Hugo TSR nous offre à nouveau des punchlines puissantes et révoltées, témoignant de la réalité sociale et la politique contemporaine, ainsi que des prods nostalgiques et attachantes. Pour la première fois, Hugo TSR laisse de côté le rythme boombap13 dans quelques sons pour un style d’instrumental plus moderne. Il prouve ainsi qu’il sait se revisiter, mais au fond, il garde la même démarche artistique, ce qui fait de lui Hugo14 : toujours la même dégaine, les mêmes combats, ce même côté sombre et ces prods mélancoliques, cette même rage. Pourtant, on ne s’en lasse pas. Dans sa tournée, Hugo n’est pas venu seul. Durant le concert, il invite Vin7 sur scène, le public rap avec eux et répond, et on retrouve son équipe au stand de merchandising. Tout du long, il y a une véritable cohésion. Nous aussi on fait partie du TSR Crew, nous aussi on avait du cœur, mais cette époque nous l’a arraché15.