Rineke Dijkstra
Lauréate du prix Hasselblad en 2017, une des plus prestigieuses récompenses dans le monde de la photographie, Rineke Dijkstra est l’une des maîtres incontestées du portrait dans la photographie contemporaine. À travers ses portraits posés, la photographe hollandaise questionne la maternité, l’adolescence mais également l’engagement militaire et la pratique de la corrida.
Photographe commerciale de métier et diplômée de la Gerrit Rietveld Academy d’Amsterdam, Rineke Dijkstra et ses Beach Portraits ont fait le tour du monde : des adolescents sur la plage, dos à la mer, posent les yeux rivés vers l’objectif. La seule instruction ? Ne pas sourire.
Influencée dans sa pratique par la peinture hollandaise du XVII e siècle et par de grands portraitistes de l’histoire de la photographie comme August Sander , Rineke Dijkstra bascule vers le documentaire en 1991 lorsque, lors d’une rééducation de la hanche après un accident de vélo, elle décide de faire son autoportrait après trente longueurs de natation. Depuis lors, elle recherche systématiquement cet instant de fatigue ou d’égarement qui désinhibe les sujets les plus introvertis.
En effet, Rineke Dijkstra est une artiste de la transformation, guettant un moment de flottement dans le regard de ses sujets. Presque systématiquement, son attention s’arrête sur des personnes aux traits ordinaires traversant une phase de transition : des adolescents dans Beach Portraits , des femmes avec leur nouveau-né dans les bras dans New Mothers , des toreros à la sortie de l’arène dans Bull-Fighters . La photographe aime capturer le naturel déconcertant des enfants et des jeunes adultes, moins méfiants envers l’objectif.
Adepte de la photographie couleur à la chambre photographique de grand format, ses négatifs 4 x 5 pouces1 lui permettent d’atteindre une infinité de détails : le grain, les aspérités de la peau, même l’éclat de l’iris y sont sublimés. La chambre technique permet en effet d’obtenir un cadrage et une profondeur de champ (ou zone de netteté) millimétrés. Elle est souvent utilisée dans la photographie d’architecture car elle permet de supprimer les déformations optiques de la perspective.
La prise de vue avec une chambre technique, demandant temps et concentration tant pour le modèle que pour le photographe, permet de faire émerger de ces portraits, semblables à des rites de passage, grâce et fragilité. Les silhouettes sont figées, intemporelles. Grâce à l’absence d’instruction concernant la pose, c’est le corps tout entier qui parle.
Pour ses différentes séries de portraits, Dijkstra adopte un protocole, un ensemble de paramètres techniques communs à toutes les images : un cadrage vertical en buste ou en pied, une composition centrée, une frontalité désarmante, des décors simples et une lumière naturelle complétée par un éclat de flash par exemple. Le travail de Dijkstra est une typologie humaine qui nous évoque les inventaires architecturaux de Bernd et Hilla Becher de l’académie de Düsseldorf.
Les protocoles de Rineke Dijkstra et l’utilisation de la chambre technique laissent peu de place à l’imprévu. Ce contrôle peut cependant doter certaines séries d’images d’une aura trop lisse.
Il ne faut cependant pas réduire l’œuvre de Rineke Dijkstra à un inventaire frénétique. La photographe n’accumule pas frénétiquement les silhouettes mais nous offre une galerie de personnages et autant de fragments d’âmes. Chaque portrait est révélateur d’une réalité plus large. La photographe pratique également la vidéographie comme pour The Buzz Club où elle filme devant un fond blanc des jeunes aux abords des clubs de house music de Liverpool.
Vous l’aurez compris, Rineke Dijkstra s’attarde autant sur les transformations physiques que psychologiques, photographiant Olivier, un jeune homme enrôlé dans la Légion étrangère française, et Almerisa, une jeune réfugiée bosniaque dans sa ville d’Amsterdam. Comme Nicholas Nixon avec sa série The Brown Sisters ou Hans Peter Feldmann avec 100 years , la photographe pose un regard sur le temps qui passe.
Rineke Dijkstra cristallise l’éphémère de la jeunesse, magnifie les chrysalides et nous confronte à l’humain dans son essence la plus pure. À travers ses portraits mutiques, ne nous renvoie-t-elle pas à nos propres interrogations adolescentes ?