critique &
création culturelle

Silent Running de Douglas Trumbull

Scène culte (43)

Les scènes cultes, ce sont des commentaires sur des passages de films qui nous ont marqué, extrait à l'appui ! Aujourd'hui, c'est une scène de Silent Running (1972) de Douglas Trumbull qui est passée à la loupe.

En 1986, dans Le Rayon vert, Delphine la protagoniste du film se sent critiquée par tous lors d’un repas, en raison de son végétarisme. La pratique n’est pas encore à la mode, encore moins vue comme progressiste. Si ce dialogue peut surprendre aujourd’hui, on peut remonter plus loin dans l’histoire du cinéma pour (re)découvrir un autre film, Silent Running, lui aussi en avance sur son temps.

Responsable des effets spéciaux sur 2001, l’odyssée de l’espace, Douglas Trumbull passe ici à la réalisation avec ce récit de science-fiction aux élans écologistes. À la suite d’un désastre écologique dont on ne saura que peu de choses, ce qu’il reste de la biosphère terrestre est transféré à bord d’une flotte de vaisseaux, dans un but de préservation et d’une potentielle réimplantation sur terre. L’action du film se situe huit ans après cet événement, à bord d’un des vaisseaux de cette flotte. Alors que la majorité de l’équipage ne se reconnaît plus dans l’objectif premier de la mission, Freeman Lowell (Bruce Dern) y est resté fidèle. Surnommé « l’écologue », il ne supporte plus le mépris de ses collègues à son égard, et refuse de se faire à l’idée d’un monde ou le caractère organique de ce que nous ingérons n’a plus rien de naturel. Allant jusqu’à devenir la risée de ces derniers lorsqu’il choisit un melon qu’il a lui-même cultivé à un repas lyophilisé.

À la suite d’un pli de poker remporté par Freeman. Il se prend à rêver d’un succès de leur mission, d’un retour sur terre qui ne saurait tarder, auréolé d’un poste de directeur du rétablissement des forêts et des parcs sur terre. Il estime qu’il est temps de rêver, « you don’t think it’s time somebody got a dream again? » invectivant ses collègues de croire en quelque chose. La scène se clôture sur un plan de Freeman baissant la tête, surligné par une réplique au cynisme grinçant d’un de ses collègues : « It’s been too long, people got other things to do now. »

Par la suite, on comprend la différence significative entre Freeman et ses collègues : s'ils rêvent tous d’un retour sur terre, Freeman y voit une renaissance, un retour dans la peau non pas d’un destructeur des écosystèmes, mais comme en faisant partie intégrante. Ses pairs, au contraire, sont montrés comme des adolescents, se lovant dans un retour aux accents régressifs. On découvre finalement leur aveuglement face aux conséquences d’une destruction des écosystèmes par l’atome.

Il est intéressant de (re)voir le film pour l’avant-gardisme de son propos. Silent Running prend le pas inverse sur une quasi-convention du genre qui voudrait que tout film dont l’action prend place dans l’espace se concentre sur l’expansion. Ici, la mission spatiale n’a aucun but commercial ou impérialiste, il n’est pas question non plus d’exploration ou de conquête, mais de préservation, de sauvegarde environnementale.

Si le film reste encore peu connu, son impact sur l’histoire du cinéma n’est pas négligeable, tant pour ses idées visuelles (l’idée du jardin intra-vaisseau que reprendra Claire Denis dans High-Life) que pour les auteurs majeurs qu’il a pu inspirer (on peut apercevoir un des vaisseaux de la flotte dans Ready Player One de Steven Spielberg).

Silent Running

Réalisé par Douglas Trumbull

Scénario de Deric Washburn, Michael Cimino et de Steven Bochco

Avec Bruce Dern, Cliff Potts et Ron Rifkin

États-Unis, 1972