Se souvenir des belles choses
Après leur numéro, les patineurs artistiques attendent la sentence des juges sur un banc appelé « Kiss & Cry ». Embrassez-vous, que la fin soit heureuse ou non, qu’on pleure ensuite de joie ou de dépit.
Au début
Il est des poèmes légers, qui n’ont l’air de rien, mais qui vous tordent comme un torchon soigneusement essoré tant ils sont bien racontés. C’est par fragments de souvenirs, avec quelques mots simples, que Thomas Gunzig construit « la ligne pointillée » de l’histoire de Gisèle : une poupée, un aquarium, un train téléguidé, et son regard fasciné pour les mains des hommes qu’elle a aimés. Des mains qui deviennent sur scène les acteurs de notre frénétique quête de l’amour perdu, qui nous parlent de la mémoire, du temps qui nous échappe et de la mort. Des mains qui dansent sur une table la création du monde.
Au début, on ne sait pas que c’est le début.
Au début, on ne sait pas que les choses commencent.
Et on sait encore moins qu’un jour tout sera fini.
Au début, on se souvient un peu du rien qu’il y a eu avant.
On y pense comme à une maison qu’on n’habitera plus jamais.
Au début, on n’est pas certain que les rêves sont bien des rêves.
Et puis au début,
surtout
on ne sait pas combien de temps tout ça va durer.
Grandes questions, grandes ambitions, portées à bout de doigts par deux nano-danseurs et toute une fine équipe de techniciens, pour un résultat virevoltant.
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Spectacle mêlant la danse, le théâtre, le cinéma, le conte, Kiss & Cry est une performance multiple. « Le défi du spectacle était de faire du grand avec du tout petit. » (Jaco Van Dormael.) Sur scène, ils sont une dizaine à danser avec les décors : projecteurs, rails, maquettes, aquarium… Le spectateur assiste chaque soir au making of et peut observer les corps des marionnettistes, tout entiers en mouvement sur le plateau pour donner vie à ces mains tantôt timides, blessées, tantôt amoureuses, ou baladeuses. La loupe du cameraman sur ce monde miniature crée en direct un nouveau long métrage projeté sur grand écran. Sur la bande-son, c’est la voix du narrateur qui assemble les pièces du puzzle, en alternance avec les moments musicaux dont on retiendra particulièrement le déchirant Nothing compares to you de Jimmy Scott.
C’est ici que réside véritablement la pincée de génie du spectacle : faire danser le regard du public d’un niveau à l’autre, de la scène à l’écran, de l’endroit à l’envers du décor, pour faire apparaître la poésie invisible à l’œil nu. Magie technique, beauté du propos, Kiss & Cry est sans conteste le spectacle dont vous n’avez pas fini de vous rappeler.