critique &
création culturelle

Seuls les fantômes de Cyrille Falisse

Quand le passé ressurgit pour éclairer le présent

Elles sont les spectres qui hantent ses nuits, les souvenirs qui le consument. Brisé par une rupture, un jeune homme se réfugie dans le passé, cherchant des réponses dans les visages des femmes qui ont marqué sa vie. Seuls les fantômes, premier roman de l'auteur belge Cyrille Falisse, est une quête d’identité et de reconstruction, où humour et poésie se mêlent à la douleur du deuil.

Melvile, jeune trentenaire bruxellois, sombre dans une profonde détresse après une rupture. Il se réfugie dans l’isolement de son studio, conscient de sa descente progressive vers une frontière dangereuse. Sur un réseau social, il trouve pourtant une oreille attentive en la personne d’Alice, qui l’accompagne dans un voyage introspectif à travers les souvenirs des personnes qui ont marqué sa vie.

La rupture douloureuse ravive ainsi en lui les fantômes de son enfance : Laetitia, son premier amour de jeunesse, disparue tragiquement à l’âge de 12 ans, et son grand-père, figure marquante de son passé. Il revisite également certains moments clés de sa vie, comme la longue maladie de sa mère (« la Galopante ») et sa relation tumultueuse avec Nina, sa première compagne à l’adolescence.

Dans Seuls les fantômes, la voix de Melvile semble se confondre avec celle de l’auteur, Cyrille Falisse, dont les réflexions se dévoilent avec une prose fluide et une sincérité désarmante. Il vit intensément les souvenirs qui l’habitent, se protégeant ainsi à la fois du présent et de l’avenir. Au fur et à mesure de ce voyage introspectif, il prend conscience que ce sont peut-être finalement ses fantômes qui le libéreront de ses chaînes.

« Souvent, je remonte à la source et je m’assieds au bord de la rivière glacée. Dans le clapotis du courant, je les entends rire, leurs visages d’alluvions jouent dans les remous, se figent en me souriant puis m’éclaboussent. Les disparues sont là où porte le regard. Mes mains frôlent leurs traits d’eau et les remontent à la surface tendre du monde. »

Ce premier roman est bien plus qu’un récit de deuil : c’est une exploration profonde de la mémoire et de son rôle dans la construction d’une identité. Dans les méandres de l’esprit de Melvile, les souvenirs s’entremêlent, se superposent et parfois se contredisent. L’auteur nous invite à reconstituer le puzzle de son passé, à démêler le vrai du faux, à comprendre les choix qui l’ont conduit à sa situation actuelle.

L’écriture est à la fois sensible et percutante, évoluant au fil du récit pour refléter le cheminement du protagoniste. On passe d’une prose mélancolique à une écriture plus vive, comme un écho à sa guérison progressive. Le roman est également parsemé de touches d’humour, qui apportent une légèreté plus que bienvenue. Melvile observe le monde avec un regard ironique, nous rappelant que la dérision peut être une arme de résilience. En parlant de sa mère :

« Papa disait qu’elle était bien proportionnée. Quand je faisais mon complexe de jeep, je la trouvais belle. Après, quand j’ai aimé d’autres femmes qu’elle, je continuais à la trouver belle et féminine. Enfin, sauf pendant sa période épaulettes et leggings, les années 1980 furent une saloperie pour les gamins amoureux de leur mère. »

La musique et le cinéma, tout particulièrement, sont partout dans le récit, comme autant de refuges et échappatoires à la réalité pour Melvile (ou Cyrille ?). Les nombreuses références cinématographiques, disséminées tout au long du roman, témoignent de la passion de l’auteur pour le septième art et contribuent à créer une expérience aussi visuelle que littéraire.

« Gamin j’étais passé maître dans l’art de dérober ce qui échappe au regard, et adulte je suis devenu cinéphile. Tout cinéphile est un voyeur qui continue de voler des images dans la plus parfaite impunité. »

Ce premier roman, œuvre d’un auteur formé au journalisme à l’ULB et aujourd’hui libraire dans le sud de la France, aborde avec délicatesse et franchise les thèmes de la perte, de la mémoire et de la quête d’identité. Le récit, touchant et teinté d’une belgitude assumée, laisse entrevoir que même sous la pluie, l’esprit peut trouver refuge dans une certaine légèreté.

Par l’intermédiaire de Melvile, Cyrille Falisse nous invite à embrasser nos propres fantômes, à les regarder en face et à apprendre d’eux. Car ce sont eux, finalement, qui nous permettent de nous reconstruire, de nous réinventer et de trouver un sens à notre existence. Seuls les fantômes est un hymne à la résilience, un rappel que même après les épreuves les plus douloureuses, la vie peut encore nous surprendre.

Seuls les fantômes

Cyrille Falisse

Belfond, 265 pages

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