should I Stay
Vous vouliez un avant-goût du purgatoire ? C’était possible les 16, 20, 22, 23 et 24 novembre à la Balsamine. Visiblement, nous étions nombreux à saliver à l’idée de nous enfermer une heure avec Should I Stay or Should I Stay , écrit et mis en scène par Simon Thomas. Cela pose question : et si nous éprouvions un plaisir à rester ?
Should I Stay or Should I Stay , c’est d’abord un accueil et une chanson. Eux, les comédiens, sont là depuis peut-être plusieurs heures, plusieurs milliers d’années… Plus probablement depuis cinq minutes, mais ce petit côté d’éternité, c’est le sentiment qui m’envahit lorsqu’un comédien est déjà en place et en lumière lorsque je m’installe.
Quatre forces de la nature sont donc plantées là et l’une d’entre elles, la Force Bleue, recroquevillée sur le sol noir à l’avant-scène, a déjà l’usage de la parole, elle chante, et ne s’arrête plus… Elle continue jusqu’à emmener avec elle la majestueuse force rouge. Drapée dans sa cape, elle devient l’accompagnement instrumental de Force Bleue par la seule force de sa bouche. Puis, c’est au tour de l’illustre Force Jaune dont le ciré et les bottes sont selon moi, une leçon de mode pour tous ceux qui hésitent encore, en cirés et doudounes, de se laisser physiquement happer par ce « Should I Stay or Should I Stay ». Le son tourne en boucle, il prend des variations, il nous laisse prendre le temps d’observer nos quatre héros, de prendre conscience de notre environnement. C’est sur cette chanson, cette boucle, que l’espace se dessine vraiment… Le mur brut en parpaing, le sol noir, les néons, les portes visibles, la salle semble complètement nue.
Plus cette introduction musicale dure, plus la certitude s’installe en chaque spectateur qu’il n’y aura pas de noir pour nous cacher ce soir. Non, pendant une heure, nous serons avec eux, puisque nous ne sortirons pas et eux non plus, qu’ils sont dans la lumière des néons et que d’une certaine façon nous aussi.
Mais n’est-ce pas ce qui se passe chaque soir de représentation dans (presque) tous les théâtres ? Deux groupes de personnes décident de s’enfermer, elles décident de ne plus en sortir avant qu’une fin ait sonné. Les portes sont pourtant présentes. Et si Force Rouge ouvre la porte du fond de scène d’un air détaché au bout de vingt minutes, il ajoutera « c’est fermé ». Tout le spectacle nous plonge dans une « prison ouverte » dont nous verrouillons mentalement les issues…
Alors, puisqu’on est enfermé (même si c’est nous qui l’avons décidé), et puisqu’il faut bien patienter pour que l’heure ou l’éternité semble moins longue, on passe le temps. Pendant soixante minutes, les quatre protagonistes de Should I Stay or Should I Stay passent le temps, ils se créent des jeux, ils s’inventent des couloirs par lesquels ils transitent avec beaucoup d’application, comme des enfants, ils meurent, tuent et ressuscitent… Et nous, public éclairé, nous passons le temps en les regardant. De la déclaration « Random, je n’ai pas de bras » au meurtre violent de Force Noir par Force Rouge, toutes les interactions mangent les minutes et les étirent.
Il n’y a donc pas d’autre enjeu que de rester, de rester visiblement ensemble qui que nous soyons. Durant l’intégralité de cette expérience, les noms utilisés par les Forces pour s’adresser les unes aux autres changent et cela ne semble pas avoir d’importance. L’identité n’a plus de sens, on ne bouge plus, on peut devenir qui on veut, mieux l’autre peut devenir qui nous voulons qu’il soit… Le plus surprenant étant que ces « changements d’adresse » n’ont rien de déroutant pour le public. Le temps est élargi, les actions n’ont plus d’autre but que de passer le temps dans lequel on est coincé… Tout semble un peu hors du réel et applicable à n’importe quelle situation quotidienne dans laquelle nous nous enfermerions sciemment. La règle comme le spectacle devient valable pour tout, pour l’éternité et pour tous.
Le texte du spectacle propose un grand nombre de pistes qui répondrait à la question: « Pourquoi rester ? » Peut-être parce qu’on a baissé les bras, peut-être parce qu’on est intimement persuadé de ne pas pouvoir sortir, peut-être même parce qu’on a oublié… Mais cette petite expérience m’évoque cet emprisonnement volontaire qui a lieu chaque soir au théâtre, et dans bien d’autres lieux de la vie. Les limites de chacun des personnages viennent parfois me rappeler à l’ordre par un cri ou des pleurs, le reste semble jeu, fait rire et l’absurdité de la situation comme des échanges peut au demeurant toucher ou emmener celui qui les observe dans un nouvel espace, un espace dans lequel, cloîtrés consciemment, nous pourrions essayer de prendre du recul face à tous nos propres lieux d’enfermement…
Dans Should I Stay or Should I Stay , le temps devient relatif, dans la narration comme dans la salle, car rien ne fera évoluer la situation. L’enjeu n’est pas de s’en sortir, l’enjeu est au contraire d’y rester.