« Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intention. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable. Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu’enthousiasmé. Échoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fait des détours. Laisse-toi distraire. Mets toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles deviennent doux. Passe par les villages, je te suis. »

Nous avons tous en poche un peu de ces textes éminemment fondateurs dont on réciterait presque des pans de mémoire, qui nous semblent correspondre à toutes situations problématiques ou de joie et que l’on relit toujours comme si on les rencontrait pour la première fois. C’est le cas, ici, pour moi. C’est vous dire comme j’attendais beaucoup de cette mise en scène de Par les villages, pièce signée en 1981 par le dramaturge et écrivain Peter Handke (et par ailleurs coscénariste de l’invraisemblable les Ailes du désir de Wim Wenders).

Le prétexte se situe dans les retrouvailles d’emblée houleuses entre frères et sœurs au moment de l’héritage et du partage de la maison familiale, alors que les parents viennent de mourir. Gregor, l’aîné, le néo-citadin, revient au village tout en mépris pour l’endroit d’où il vient. Il n’est pas le seul à camper les pieds embourbés dans la révolte et le combat d’egos : tous, ils s’expriment en scandant, tous veulent à tout prix se faire entendre plus haut que les autres.

Tous, sauf Nova, Nova comme dans neuve, qui s’exprime d’une voix douce et rallume – littéralement rallume puisque pendant son discours le public peut à nouveau se jauger – la lumière de la salle et la lueur d’espoir dans les constats alarmistes.

Une scénographie onirique, où l’on vient nous souffler à l’oreille, où se côtoient balançoire et souches d’arbres toutes racines dehors, un bourdonnement presque permanent en fond sonore. Dix personnages pour six acteurs, et une langue somptueuse mise à sa juste place : l’avant de tout.

Par les villages , par la compagnie bruxelloise F.A.C.T., est une pièce longue, qui n’endort jamais mais hypnotise souvent. Un poème dramatique, ainsi que le sous-titre Handke, qu’il faudrait pouvoir aller écouter dix fois pour en saisir tous les sens. En attendant, l’édition Gallimard de Par les villages est en vente à l’Océan Nord.

https://vimeo.com/210851605