Comme Noël est passé, j’ai envie maintenant de vous parler de The Lighthouse , un film bien sombre, où les barbus ne distribuent pas de cadeaux.
The Lighthouse est le second film de Robert Eggers. Sorti le 18 décembre dernier, il succède au surprenant The Witch . L’histoire se passe dans les années 1890 et retrace l’histoire de deux « wickies », ou gardiens de phare — Thomas, un habitué, et Ephraim, son apprenti quelque peu taciturne — coincés sur leur île à cause d’une tempête, qui passent leurs journées à se disputer la garde du phare et à délirer sous la pluie en pensant aux sirènes. Même si la situation semble cocasse, elle représente en réalité un véritable enfer psychologique, pour les personnages comme pour les spectateurs.
How long have we been on this rock ? Five weeks ? Two days ?
Le film s’ouvre sur deux silhouettes ballottées au gré des flots, qu’un bateau mène à une île — que dis-je, un rocher, d’autant plus sombre qu’il est filmé en noir et blanc, avec les intenses contrastes d’une caméra 35mm. Le son de la corne de brume nous plonge aussitôt dans l’inquiétude. Un phare au loin crache sa lumière aveuglante : il incarne déjà ce quelque chose d’effrayant et d’enchanteur, qui lui conférera un statut quasi divin.
Cette scène d’ouverture m’a rappelé celle du film The Witch , où une famille entassée sur une charrette bringuebalante s’éloigne, ne laissant à la vue qu’un ensemble de corps mous, déshumanisés, secoués au son, cette fois, d’un choeur de femmes aussi glaçant que magique. Deux scènes pour deux films distincts qui parcourent pourtant les mêmes thèmes : l’exil, la croyance et la folie.
Le film est rythmé par le jour et la nuit, le noir et le blanc. Le jour, les deux marins travaillent dur, se querellent. La nuit, c’est l’heure de boire et de se coucher dans la crasse et l’humidité. Ici comme dans The Witch , les personnages se construisent dans la misère et le dur labeur, mais surtout dans l’omniprésence du regard de l’autre, une pression qui pousse presque inexorablement au crime.
Quand, dans The Witch , le ton est à la stupeur religieuse, celui-ci s’axe, dans The Lighthouse , autour du folklore et des légendes de marins, teintées de superstitions. Les deux personnages sont en conflit dès le début, ce qui instaure une tension certaine mais, en parallèle, une dimension humoristique assez salvatrice (car oui, les pets lâchés par le vieux Thomas nous permettent de respirer un grand coup, croyez-le ou non.)
En bref, inutile de tourner autour du pot avant de voir ce chef d’oeuvre d’angoisse, qui s’ajoute aux autres trésors de la compagnie A24.