Pour son premier long-métrage de fiction, le duo Tyler Nilson et Michael Schwartz a écrit un rôle sur mesure pour leur ami Zack Gottsagen, atteint de trisomie 21. En résulte un film plein de bons sentiments, et pas dans le sens cynique du terme, bien au contraire.
The Peanut Butter Falcon nous conte les aventures de deux hommes en fuite. Le premier, Zac, rêve d’intégrer une école de catch. Jusque là rien d’irréalisable, sauf quand on est trisomique et qu’on a été placé, faute de mieux, dans une maison de retraite qui surprotège et, surtout, infantilise. Il en faut plus pour arrêter Zac, qui parvient à s’échapper avec l’aide de son compagnon de chambre (génial Bruce Dern). Prêt à vivre son rêve américain, il croise la route de Tyler, un pêcheur passé maître dans l’art de se créer des ennuis, dont la dernière prouesse l’a mis dans un tel pétrin qu’il est forcé de fuir en Floride. L’école de catch dont rêve Zac s’avère être sur son chemin, il n’en faut pas plus pour que les deux compères prennent la route ensemble et que commence une grande aventure, à base de famille qu’on se choisit et aussi d’un peu de rédemption.
Ça vous rappelle Le Huitième Jour ? C’est normal, bien qu’il ne s’agisse pas d’un de ces remakes US dont Hollywood a le secret. Le traitement est assez différent. Pour commencer, la vision de Jaco Van Dormael était bien plus pessimiste. Le film, aussi beau et poétique soit-il, nous faisait réaliser qu’il n’y avait pas de place dans le monde « normal » pour Georges malgré tous ses efforts et sa bonne volonté. En résulte une issue fatale qui nous a fait quitter la salle les yeux rouges. Ici au contraire, on ressort avec la banane, le message est en effet bien différent. Tyler fait si peu cas de la différence de Zac, qu’on en vient se demander s’il l’a remarquée. En fait, il s’en fout. C’est la réponse qu’obtiendra Zac après s’être senti obligé de lui révéler sa condition de trisomique, au cours d’une dispute dans laquelle Tyler lui reproche de le ralentir dans leur fuite. Et c’est bien cette vision de la vie, celle de Tyler, que nous enseigne le film : être trisomique n’est pas une raison pour le ralentir et encore moins une raison pour abandonner ses rêves. Nous ne sommes pas dans l’idéalisation : Tyler n’est pas un sauveur, c’est un mec paumé. Mais c’est le premier à traiter Zac comme un égal. Il ne prend pas soin de lui, il devient son ami. Et même si ça les met parfois en danger, même si ça expose Zac à des choses dont il avait toujours été protégé, c’est exactement ce dont il avait besoin.
On apprend au fil du récit que Tyler a perdu son grand frère qui semblait être sa seule famille. Quant à Zac, c’est parce que sa famille l’a abandonné qu’il s’est retrouvé dans une maison de retraite à 20 ans. Nos deux protagonistes vont ainsi, à l’instar du radeau qu’ils bricolent pour descendre vers la Floride, recréer une petite famille bancale, une fratrie.
N’ayant bénéficié que d’une sortie limitée aux USA en août dernier, The Peanut Butter Falcon s’est fait en douceur une place au soleil. À force de constater que le public ressortait heureux de la projection, il est finalement devenu le plus gros succès de film indépendant de l’année. Mais en imposant ainsi un acteur, différent et inconnu, les réalisateurs ont eu du mal à financer leur projet. Il ont donc fait un film indépendant avec peu de moyen mais une équipe composée uniquement de personnes qui y croyaient à 100%.
On sent que les réalisateurs viennent du documentaire, avec beaucoup de plans larges qui font la part belle à la nature, omniprésente. On est transporté dans l’Outer Bank, ce banc de sable qui descend de la Caroline du Nord à la Floride. Un endroit particulier au climat tropical, parfaitement tangible dans le film. La moiteur de l’atmosphère, le soleil brumeux, et la lumière typique du sud sont sublimées par la photographie, travail du talentueux chef op’ Nigel Bluck. La musique, mélange de folk et de blues, est celle que les réalisateurs écoutaient en écrivant le film, ce qui explique la parfaite symbiose entre les images, le son et le mood.
Autant d’éléments qui donnent au film l’allure d’un conte de Marc Twain. L’histoire est d’ailleurs inspirée librement des aventures d’Huckelberry Finn. Les réalisateurs tenaient à avoir un ancrage littéraire pour leur récit. Comme un clin d’œil, le fameux beurre de cacahuète qui résonne dans le titre du film et dont nos héros se nourrissent exclusivement lors de leur épopée est de la marque « Peter Pan ». Nous avons bel et bien affaire à deux enfants perdus qui vivent des aventures extraordinaires hors d’un monde qui ne veut pas d’eux. Et à l’image d’une Wendy, apparaît finalement Eleanor (Dakota Johnson). Elle est bénévole au centre que Zac a fuit et à la recherche de ce dernier. Elle non plus ne semble pas avoir beaucoup de famille. Elle incarne le mauvais rôle rabat-joie de celle qui veut les ramener à la raison, à ce qu’ils fuient. Mais Tyler, même s’il tombe tout de suite amoureux d’elle, ne l’entend pas de cette oreille et ne veut pas retourner dans le monde des adultes. Ils parviennent à embarquer cette maman de substitution dans leur périple, pour un moment de grâce qui durera le temps d’une séquence, avant que la réalité ne les rattrape.
Les acteurs sont excellents. Shia LaBeouf, ex-enfant star qui s’est parfois perdu en route, incarne à la perfection la dualité de ce personnage de Peter Pan moderne mal léché au bon cœur. De par son physique déjà, avec sa tête d’éternel ado vissée maladroitement sur un corps d’homme. Une grosse barbe et une casquette (celle du frère de Tyler, qu’il porte comme un talisman) cachent son visage toute la première partie du film. Ce n’est que lorsqu’il baisse enfin la garde, lors d’une discussion avec Zac sur le fait d’être « un gentil » ou « un méchant », que ses yeux apparaissent et qu’on se souvient que malgré tout, Shia LaBœuf est un vrai comédien. Et s’il peut passer pour le mentor dans le duo qu’il forme avec Zack Gottsagen, il est le premier à se demander lequel des deux a le plus appris.
La révélation de ce film est bien ce jeune acteur que les réalisateurs ont rencontré dans un camp de théâtre. Zack ne partage pas que le prénom et le handicap de son personnage. Son parcours pour devenir comédien et se voir confier un rôle est finalement assez similaire à celui de l’apprenti catcheur qu’il incarne. Pourtant il crève l’écran, de justesse et de charisme. On sent bien qu’il porte ses partenaires autant que l’inverse. L’inclusion est un sujet compliqué dans le cinéma. Bien trop souvent, on préfère confier des rôles de personnes en situation de handicap à des acteurs y étant étranger. Tom Hanks dans Forest Gump , François Cluzet dans Intouchables ou encore Sean Penn dans I am Sam , pour ne citer qu’eux, se sont dépassés dans ces performances qu’on appelle d’ailleurs « rôles à Oscar » et qu’on est encore bien trop frileux à confier à des personnes vivant avec un handicap.
Les jeunes réalisateurs offrent ici une chance à un acteur plein de potentiel qui ne demandait qu’un peu de confiance. L’entourer de bons comédiens, d’un scénario à la simplicité rafraîchissante et plonger le tout dans une ambiance du sud n’a évidemment rien gâché.