The Shape of Water ou La forme de l’eau est le nouveau film du réalisateur mexicain Guillermo del Toro ( Crimson Peak , Pacific Rim ). Multi-récompensés, le réalisateur et son dernier film sont les dernières obsessions d’Hollywood.
Après l’homme pâle dans Le Labyrinthe de Pan , Guillermo del Toro donne vie à « The Asset » (en français, « l’Atout »), une créature inspirée par le personnage d’Abe Sapien issu du comic Hellboy que le réalisateur avait déjà adapté sur grand écran en 2004. Il a d’ailleurs triomphé aux Oscars, ce 4 mars dernier, en raflant les statuettes de la meilleure bande originale, des meilleurs décors, du meilleur réalisateur, et sacre ultime : celle du meilleur film.
Dans les années ’60, sur fond de guerre froide et de conquête spatiale, Elisa Esposito (Sally Hawkins) est une femme de ménage muette travaillant dans un laboratoire militaire américain secret-défense où l’on retient prisonnière une créature mi-homme, mi-amphibien : « L’Atout » que se disputent russes et américains. Elisa, fascinée, apprivoise en cachette la créature amphibie, campée par Doug Jones, en communiquant en langue des signes. Elle s’énamoure rapidement de ce cobaye, objet des expériences scientifiques du Dr Hoffstetler (Michael Stuhlbarg) et victime des coups de matraque de Richard Strickland (Michael Shannon).
Elisa est entourée de seconds rôles forts : sa bavarde collègue Zelda (Octavia Spencer) et son voisin Giles (Richard Jenkins), peintre publicitaire dépassé par la montée en puissance de la photographie. Giles, au premier rang du coup de foudre entre Elisa et la créature, ouvre et clôture également le film dans le rôle du narrateur.
La forme de l’eau est une fable sur la différence, avec sa galerie de personnages incarnant des minorités : afro-américains, homosexuels, personnes handicapées,… Dans l’air du temps, del Toro aborde également la thématique du harcèlement sexuel, Michael Shannon incarnant le mâle dominant, violent et prédateur. Pour Strickland au look à la Mad Men , la femme est un objet, au même titre que sa nouvelle Cadillac.
Malheureusement, le spectateur n’est pas dupe de la psychologie superficielle des personnages : ils sont stéréotypés et binaires. Zelda, par exemple, est une copie conforme du personnage de Minny, archétype de la femme de ménage dans La Couleur des sentiments , rôle pour lequel Octavia Spencer a été récompensée par l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 2012. Cette vision manichéenne du monde rappelle les contes de la franchise Walt Disney, mise à part la sexualité moite des protagonistes.
En revanche, la bande originale, écrite par le français Alexandre Desplat, précédemment oscarisé en 2014 pour The Grand Budapest Hotel , est un ravissement pour les oreilles. Desplat fait valser les fonds marins et crée une ambiance poétique et féérique avec des notes cristallines de harpe et de piano, rappelant avec nostalgie la musique de l’Étrange Histoire de Benjamin Button . Amélie Poulain, elle aussi, plane au-dessus du film, portée par un accordéon. La Javanaise de Gainsbourg, chantée par Madeleine Peyroux clôture la séance sur une touche frenchie .
Le spectateur est, par ailleurs, immergé dans un univers bétonné et poisseux, comme la chambre des secrets de la saga Harry Potter . La lumière, quant à elle, rappelle celle d’un vivarium. Tout dans le film du réalisateur mexicain n’est que molécules d’eau et camaïeu de verts : pluie continuelle, baignoire, canal vaseux, bassin d’eau salée, eau bouillante pour cuire les œufs, serpillères encore humides, Cadillac vert eau, tenues des employés vert foncé, algues, écailles émeraudes et tartes au citron vert… Des tons froids avec quelques pointes de pourpre, symbolisant l’amour entre les deux protagonistes et celui de Guillermo del Toro pour le cinéma.
Les amateurs de monstres restent bouches bées face à la maîtrise des outils numériques utilisés pour façonner la créature, du relief de ses écailles à ses paupières translucides. La technologie est impressionnante, animant en images de synthèse, à partir de la silhouette de Doug Jones, une version upgradée d’Abe Sapien. La plupart des scènes sous-marines n’ont d’ailleurs pas été réalisées sous l’eau mais sur la terre ferme, grâce à la technique du dry-for-wet où l’on suspend les acteurs par des câbles pour simuler leur flottaison.
Del Toro réalise ici le film dont il a toujours rêvé et revient aux fondamentaux du cinéma hollywoodien en livrant une histoire d’amour à la Belle et la Bête , entre le film fantastique et la comédie musicale, ouvertement inspirée du marécageux l’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold, sorti en 1954.
Après Frankenstein, King Kong, E.T. ou même Godzilla, « The Asset » rejoint la longue liste de monstres emblématiques du cinéma.
The Shape of Water est un hommage au 7 e art, faisant aussi bien référence à The Little Colonel avec Shirley Temple qu’au peplum The Story of Ruth. Le personnage de Strickman évoque le récit biblique de Samson et Dalila. Le sourire naïf d’Elisa, les couloirs étroits de son appartement ainsi que la présence du peintre rappellent le Montmartre d’Amélie Poulain. La forme de l’eau partage également de multiples références avec La La Land de Damien Chazelle, dont une scène de valse particulièrement proche, en hommage à Follow the fleet avec Fred Astaire et Ginger Rogers. Au milieu de toutes ces références assumées, que penser de l’accusation de plagiat par Jean-Pierre Jeunet pour son film Delicatessen , sorti en 1991 ?
Il n’est cependant pas nécessaire d’avoir un bagage en histoire du cinéma pour apprécier le spectacle et comprendre le message de tolérance porté par le film.
Dès les premières minutes de la séance, le spectateur est pris dans une bulle, captivé et émerveillé par ce récit qui nous ramène à nos pulsions archaïques et aux récits primitifs. À tel point que le film, pourtant long de deux heures, échappe à l’espace-temps. The Shape of Water est une perle délicate et rare dans une industrie où les films fantastiques s’apparentent de nos jours trop souvent à des films d’action.
Après le sacre de La La Land , qui mettait à l’honneur les comédies musicales et le cinéma de Jacques Demy, Hollywood a couronné La forme de l’eau . L’industrie du cinéma adulerait-elle les films faisant référence à son propre héritage ?