Un joueur d’échecs nommé
Certains films d’espionnage sont comme des remakes de chansons : on pense en avoir fait le tour à l’avance quand, parfois, un petit bijou vient nous surprendre et nous charmer. Le film A Most Wanted Man , adaptation par Anton Corbijn du roman homonyme de John Le Carré est de ceux-là. Explication.
Si la mort subite de Philip Seymour Hoffman a été utilisée à profusion comme principal argument marketing, A Most Wanted Man mérite d’être vu avant tout pour lui-même et pas seulement pour honorer la mémoire de son acteur principal. Pourquoi ? Parce qu’ il réussit à renouveler un genre rebattu en nous livrant un admirable mariage entre une intrigue d’espionnage classique et une galerie de personnages atypiques.
Ne nous méprenons pas : A Most Wanted Man reste un film d’espionnage. Il aborde donc des thématiques déjà vues ailleurs : une menace terroriste islamiste incarnée par un loup solitaire fraîchement immigré dans une ville d’Europe occidentale, la lutte des services secrets locaux pour contrer cette menace et ce lone wolf . Mais là où John Le Carré, le scénariste Andrew Bovell et le réalisateur Anton Corbijn ont réalisé un coup de maître, c’est dans la manière dont cette menace et cette lutte sont mises en scène. Ici, point de fou de Dieu barbu ou de James Bond cynique à la gâchette facile. Un peu comme Michael Mann l’avait fait, dans un autre registre, dans son adaptation cinématographique de la série Miami Vice , on suit de près les différents personnages, leurs recherches, leurs doutes comme leurs espérances. C’est précisément leur interaction qui fait la réussite de l’intrigue.
La meilleure image qu’on puisse employer pour décrire ce film, sans en dévoiler la fin, est celle d’ un grand jeu d’acteurs dans lequel tous les personnages prennent place . On se rend rapidement compte que chaque protagoniste n’est qu’un pion dans une partie d’échecs. Dans cette partie, le pion initial de l’histoire est le personnage d’Issa, jeune Tchétchène ayant débarqué à Hambourg et surveillé par les services secrets. Issa (Grigori Dobryguine) rencontre une jeune avocate idéaliste (Rachel McAdams) travaillant pour une association qui vient en aide aux clandestins. Ces deux personnages vont bientôt se trouver pris dans les filets d’un service de renseignements, dont le chef (Seymour Hoffman) tente de démontrer les liens entre un intellectuel musulman et Al-Qaeda. Or, lui-même est impliqué dans un jeu d’influences entre ses supérieurs de Berlin et l’ingérence de la chef de poste de la CIA en Allemagne (jouée par Robin Wright).
Cette histoire surprenante est servie par un casting épatant. Phillip Seymour Hoffmann est excellent dans un rôle à plusieurs facettes : d’une scène à l’autre, on le voit critiquer l’interventionnisme américain puis se bagarrer dans un bar. Rachel McAdams s’en tire également très bien dans son rôle de jeune avocate, dont la naïveté et ses idéaux sont mis à mal par le choc avec le réel et qui se fera instrumentaliser par Hoffman. On notera également le rôle, secondaire mais primordial de Willem Dafoe en banquier embarqué dans une affaire qui le dépasse. Toutefois, on peut regretter que Daniel Brühl ne soit ici qu’un simple assistant de Hoffman. Ce rôle de faire-valoir ne rend pas justice à son talent.
Bref, A Most Wanted Man prouve une fois encore que ce n’est pas parce que la thématique d’un film a déjà été très souvent abordée par d’autres, avec des fortunes diverses, que l’on a fait le tour de la question. Un film qu’on peut voir, donc, et même revoir.