critique &
création culturelle

Une étouffante bouffée d’air frais

Artiste aux multiples facettes, Mélanie Laurent s’illustrait déjà dans la réalisation il y a trois ans avec les Adoptés . Aujourd’hui, elle nous livre sa nouvelle création, librement adaptée du roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme, Respire . Avec la sincérité et la justesse qu’on lui connaît, son nouveau film a de quoi interpeller. Elle le présentait pour la première fois ce lundi au FIFF et c’est un public à la fois troublé et conquis qu’elle a retrouvé à l’issue de la projection.

Charlie est une jeune fille de dix-sept ans comme les autres : étudiante en terminale dans un petit lycée de Béziers, elle a trouvé sa place dans un groupe d’amis soudés, elle fait face à ses premiers émois mais aussi à ses premiers doutes… Courageuse, elle affronte avec beaucoup de dignité ses problèmes de famille, tiraillée entre une mère dépressive et un père qui s’en fout. Sa vie va changer du tout au tout lorsqu’elle va rencontrer Sarah, la nouvelle du bahut, pétillante, belle et fascinante. Charlie va voir en Sarah son alter ego et nouer avec elle une amitié presque fusionnelle. Bientôt cependant, les premiers mensonges viennent s’immiscer entre les deux amies et s’ensuivent très vite les premières tensions. Dans cet interminable jeu du chat et de la souris, l’une des deux va se brûler les ailes.

Oppression… C’est ce mot que je choisirais pour décrire ce film . Certes, au début Mélanie Laurent filme les prémices d’une belle histoire d’amitié entre deux filles belles et populaires, une histoire dont rêvent toutes les filles. Pourtant, bien vite le vernis s’écaille et l’on se retrouve face à deux personnages beaucoup plus complexes que prévu. D’un côté, Charlie qui paraît plutôt fade durant les premières minutes mais qui se relève véritablement dès sa rencontre avec Sarah. La dégringolade de ce personnage est aussi fulgurante qu’invraisemblable et va en dévoiler une autre facette, bien plus sombre. De l’autre côté, en meilleure ennemie, se dresse fièrement l’impétueuse Sarah qui tire son amie vers le haut, en dépit de cette attirance malsaine que Charlie éprouve pour elle. Les deux filles sont complémentaires, et leur complicité inonde l’écran, tout autant que leur antagonisme. Le personnage de Sarah se révèle bien vite monstrueuse. On ne peut s’empêcher d’éprouver de l’aversion pour cette ado perverse et narcissique. En définitive, dès qu’elle découvre la pureté radieuse de Charlie qu’elle envie, elle ne cessera de tout faire pour la lui voler. Le vice est même poussé très loin puisqu’elle n’hésitera pas à utiliser son arme fatale, la manipulation psychologique, poussée jusqu’au sadisme. Charlie se trouve alors coincée dans un vase clos où aucune échappatoire n’est possible. Tous les jours, elle retournera au lycée où elle sera confrontée aux moqueries de Sarah (qui se transforment en véritable harcèlement) et à ses anciens amis devenus maintenant ses ennemis. Elle coincée dans cette enceinte étouffante et s’efface petit à petit, alors que Sarah gagne du terrain dans son esprit dévasté par la paranoïa.

Attirée par cet être inspirant et intense qu’est Sarah, Charlie va se voiler la face.

Soulignons que ces personnages ont été taillés sur mesure pour deux jeunes actrices brillantes, Joséphine Japy et Lou de Laâge. « Lors de l’élaboration du scénario, raconte la réalisatrice, j’écrivais avec leur photo sur mon bureau. » Cela se sent et l’on imaginerait difficilement d’autres filles à leur place, tant elles paraissent habiter leur personnage.

Les deux actrices sont tout simplement fabuleuses. Chacune dans son genre interprète avec beaucoup de finesse ces personnages complexes et surtout à les magnifier malgré leur nombreux défauts. Lou de Laâge confère à Sarah une vraie maturité grâce à un son jeu aussi irréprochable que terrifiant. Malgré tout, on se surprend à éprouver une certaine empathie pour ce personnage au passé difficile. On lui trouve des excuses et l’on tente de se convaincre qu’elle n’est pas vraiment un monstre. En dépit de cela, la haine revient vite au galop.

Totalement à l’opposé, plus craintive, se tient Joséphine Japy qui prouve avec ce rôle qu’elle a sa place parmi les plus talentueuses des étoiles montantes du cinéma français. Elle campe une victime plus que crédible, et comme elle on se trouve complètement démuni face à la situation qui lui échappe.

Charlie est de plus en plus seule. Peu à peu, l’emprise de Sarah la détruit.

Il ne faut bien entendu pas oublier que Respire est à l’origine un roman d’Anne-Sophie Brasme que Mélanie Laurent avait adoré à l’adolescence. À dix-sept ans déjà, elle voulait en faire un film. « Heureusement que les producteurs ne m’ont pas fait confiance à ce moment-là, car je n’étais pas assez mûre pour porter cette histoire à l’écran, dit-elle en rigolant. En fait, je ne la comprenais pas vraiment. » Et cette maturité, elle l’a acquise. Aujourd’hui, quatorze ans plus tard, le résultat est surprenant. Surtout lorsqu’on apprend qu’elle a écrit le scénario uniquement à partir des souvenirs qu’elle avait gardés du roman qu’elle n’a donc pas voulu relire. Ce qui explique les quelques différences (voulues par la réalisatrice) avec le récit original, comme par exemple sa durée qui ne s’étale plus sur une période de quatre ans, mais sur six mois, « pour renforcer le caractère oppressant » et surtout pour resserrer l’étau autour de Charlie en ne lui laissant aucune possibilité de fuite.

Pour ce qui est de la forme, on peut constater une belle évolution depuis les Adoptés qui était cependant déjà bien réussi. Mélanie Laurent livre au spectateur un travail beaucoup plus abouti, et cela se ressent d’abord dans le travail sur le plan. En effet, la réalisatrice a délaissé les plans-séquences très esthétiques de son précédent film pour leur préférer un découpage en nombreux plans rapprochés qui mettent en valeur ses personnages et même les magnifient. De plus, elle nous conte une histoire beaucoup plus réaliste. Elle sent le vécu à plein nez, chose que confirme Mélanie Laurent en confiant avoir vécu une relation malsaine avec un homme manipulateur et narcissique. Cette expérience malheureuse l’a sans aucun doute aidée à filmer avec authenticité cette histoire compliquée et il faut admettre que c’est réussi.

Enfin, elle a abandonné la lenteur des Adoptés au profit d’un rythme beaucoup plus vif. Très vite, elle parvient à captiver le spectateur, elle ne le lâche plus et l’étouffe pour finalement desserrer son emprise et le laisser complètement sonné après une heure et demie. Il n’y a qu’à regarder autour de soi le public à l’air hagard à l’issue de la projection. On tremble presque après cette interruption abrupte de toutes les tensions installées. On ne sait pas quoi penser… A-t-on aimé ? A-t-on détesté ? Ces questions restent en suspens pendant un court instant ; impossible d’y répondre. Et puis, soudain, tout s’éclaircit, on respire enfin…

Bravo l’artiste !

https://www.youtube.com/watch?v=0yig56uDAiM

Même rédacteur·ice :

Respire

Réalisé par Mélanie Laurent
Avec Joséphine Japy, Lou de Laâge, Isabelle Carré
France , 2014, 91 minutes