Jusqu’au 25 mars 2023, la galerie Roger-Viollet à Paris propose « Une histoire photographique des femmes au XXe siècle » à travers leur propre collection. Hommage aux femmes du siècle dernier, le parcours raconte leurs vies, ponctuées de luttes et de banalités, mêlant l’ordinaire au sensationnel.
La Galerie Roger-Viollet , qui se situe à Paris, renferme une collection unique en Europe. Elle possède un fonds photographique de plus de six millions d’images, légué à la ville de Paris à la mort de sa fondatrice Hélène Roger-Viollet, photographe-reporter. Référence internationale en matière d’archives photographiques, l’espace d’exposition qui était précédemment réservé aux professionnels du secteur, ouvre au public en 2019, gratuitement et en libre accès.
C’est suite à la parution du livre éponyme d’Agnès Grossmann aux éditions Gründ que l’exposition Une histoire photographique des femmes au XXe siècle prend naissance. Pour raconter la lutte et la tourmente, le pittoresque et le risible, l’exposition nous offre un aperçu des occupations nouvelles de ces femmes du XXe siècle (le tennis de haut niveau, la baignade ou la politique) et les métiers étonnants qu’elles endossent (ramonneuses, soudeuses ou expertes mécaniciennes). La nature très diverse des tirages présentés fait en grande partie la richesse de l’exposition : les photographies de reportage, la publicité, les portraits ou les clichés de famille nous montrent les paysages sociaux dans lesquels évoluent les femmes tout au long de ce siècle.
L’exposition débute vers 1900 avec des photographies de l’intime, dans lesquelles nous découvrons la toilette d’une Parisienne ou des travailleuses d’une maison de haute couture, occupées au drapage complexe d’un corsage. Au fil du parcours, les corps féminins embrassent tantôt l’image culturelle de la Femme (la figure redondante de la ménagère ou celle de la joyeuse prétendante au bal populaire), tantôt l’image avant-gardiste et moderne qui échappe à la dictature du genre (en comité pour l’organisation de leur autodétermination, travesties ou en plein exercice d’activités non-domestiques). Paris, trame de fond principale d’une grande partie de l’exposition, se transforme en paysage insurrectionnel (comme lors de la fameuse tonte des femmes à la Libération), ou en décor paisible lors d’une balade aux Tuileries.
Plusieurs photographies ont retenu mon attention, parmi lesquelles celle de midinettes révoltées durant la « semaine anglaise 1 », ou encore le portrait altier d’une milicienne républicaine espagnole à la Fête de l’Humanité (Hélène Roger-Viollet fut parmi les premières à couvrir la guerre civile espagnole de 1936).
Les photographies du début du siècle sont étonnantes. Par leur densité et par la froideur des architectures ouvrières, les femmes posent dans l’effort. Les lignes de force nous amènent à chercher les visages au milieu du métal, des briques et du verre. Plus tard encore, tandis que le portrait vibrant de Twiggy (1949 -), mannequin-lolita anglaise des sixties et égérie de Mary Quant , bouleverse les codes de la jeunesse en posant en mini-jupe, Catherine Valabrègue (1917-1999), actrice, autrice et militante féministe accueille une femme au Mouvement Français pour le Planning Familial.
Loin du luxe de la simplicité des temps de Guerres, les années 1950 érigent des silhouettes nouvelles et se drapent des symboles d’une féminité culturelle. Ce retour à l’imaginaire et au glamour est un terrain fertile pour la photographie de mode et publicitaire. Ici, la composition même des photographies questionne la sexualité et signifie le féminin : les lignes s'adoucissent, les peaux se dénudent, tandis que la couleur évoque le plaisir sensoriel auquel tout un chacun peut désormais accéder. Le rouge vif d’une Mercedes 3005L prise en contre-plongée répond au rouge à lèvre du mannequin qui habite son cockpit : la libération des mœurs s’exprime par la sensorialité exacerbée des formes et des couleurs.
Au fur et à mesure que la couleur conquiert la surface du papier, les femmes renouvellent la lutte dans l’espace public. Sans cacher l’objectification dont elles sont toujours les victimes, elles se transforment en sujets dynamiques, actrices du changement. On retrouve une série de portraits de « femmes phares », parmis lesquelles Françoise Giroud, Simone Veil ou encore Françoise Sagan, dont les noms évocateurs suggèrent les grandes luttes de la deuxième vague féministe qui déferle en Europe occidentale.
Cette saisie du quotidien féminin sur cent ans de lutte et d’existence, de Sarah Bernhardt à Edith Cresson, de la mariée anonyme de Sologne à Marianne, témoigne et illustre la capacité des femmes à s’organiser, à faire front et à exister en dehors de l’espace qu’on leur réserve, à l’Arrière (en temps de guerre) comme sur scène.
Les quelques textes accompagnant l’exposition, dont on apprécie par ailleurs la concision, sont parfois approximatifs ‒ non, ce n’est pas par la bonté du général de Gaulle que les femmes obtinrent le droit de vote en avril 1944, mais par des décennies de lutte incessante et par le concours du député communiste Fernand Grenier. Reste que l’exposition attire l'œil de nombreux riverains qui poussent volontiers la porte grinçante de la galerie à la scénographie étonnante, puisque ses murs conservent les travées de rayonnages remplies de boîtes en carton vert. Les archives photographiques y sont soigneusement étiquetées et classées par thème, servant encore aujourd’hui au corpus d'œuvre pour des expositions ou des articles de journaux.