Début février au Recyclart, Jean Le Peltier artiste protéiforme, acteur, performer et dramaturge ne nous a pas laissés en rade de sensations grâce à sa douce folie créative. Quelques secondes et nous avons été embarqués dans une performance mouvante entre le western et le conte fantastique. Difficile de descendre du train tant le voyage est amusant et insolite.
Comment sauver un géant amnésique à la clavicule cassée qui refuse qu’on le soigne ? C’est la mission que se sont donnés Poney et Ive, la vieille et le jeune, un couple d’amoureux ! Durant leur périple, ils rencontrent une troupe de personnages cartoonesques sortis tout droit d’un inconscient collectif primaire.
Dans un espace de jeu très épuré, une chaise, quelques branches de sapin, Jean /Ive entre sur le plateau discrètement, allume un projecteur et diffuse sur un coin de mur des images vidéo, comme un pied-de-nez à l’utilisation massive de ce médium dans la création théâtrale actuelle. On pourra toujours regarder la télé au cas où on s’emmerde, semble-t-il nous confier. Alors, il entreprend de dessiner à côté de ces mini-projections une énorme fresque au fusain narrant le fil de l’histoire qui prend forme sous nos yeux.
Toujours sur la brèche, Jean Le Peltier passe d’un personnage et d’une émotion à l’autre avec une aisance vertigineuse.
C’est l’envol d’un objet théâtral non identifié, se jouant de toutes les conventions. Ive donne tout à coup l’impression de se perdre dans son récit, se lançant dans des digressions sur le concept de déterritorialisation de Gilles Deleuze ou la vision américaine d’un spectacle européen. Il fait tout pour tester les limites de son art. Avec une maîtrise parfaite de la distanciation, Jean/Ive pousse toujours plus loin nos réflexions. L’espièglerie avec laquelle il mène la danse est particulièrement jouissive.
Et si ce géant amnésique à la clavicule cassée représentait l’Europe ? Une expérience flottante où la limite entre imaginaire et réalité est inlassablement franchie. Le récit, construit au hasard des accidents de parcours, nous invite à nous laisser traverser par les événements, attitude philosophique chère à Deleuze. Une intelligence intuitive qui fait la part belle aux zones d’ombre et qui joue avec la réalité ou l’image qui s’en imprime en nous. Ce qui se joue sur le plateau est une expérience hallucinante pour l’acteur qui endosse cette mission avec témérité. Tout n’est pas écrit, il y a du flou et il faudra bien faire avec. Jean/Ive, désarmant de naïveté, tend un fil périlleux entre le public et son histoire. Et nous avons même le sentiment d’écrire avec lui cette histoire tant elle semble ouverte à tous les possibles, y compris les nôtres.
Vieil , un monologue graphique vertigineux qui donne envie de retourner au théâtre pour se faire raconter d’autres histoires avec autant d’audace. Et ça tombe bien, puisque Jean Le Peltier prépare un nouveau spectacle, Juste avant la nuit , qu’on s’impatiente déjà de découvrir.