Walker Evans
Présentée à Bruxelles à la Fondation A Stichting, l’exposition Walker Evans. Anonymous met en évidence le travail imprimé du photographe américain, en particulier celui réalisé pour des magazines.
En coproduction avec Les Rencontres de la photographie d’Arles, la Fondation A Stichting située à Bruxelles a choisi d’exposer le travail du photographe Walker Evans, exposition coïncidant avec la parution du livre
Walker Evans. Labor Anonymous(Thomas Zander & Verlag Der Bucchandlung Walther König). La galerie met l’accent sur les photographies destinées à l’origine à des magazines tel que
Fortune. L’exposition, qui réunit des pages de magazines originaux accompagnés de tirages d’époque et de matériaux relatifs à ces publications, a été conçue de manière à montrer au visiteur le rôle fondamental de Walker Evans dans l’histoire de la photographie et du photojournalisme.
Photographe de la grande dépression
Pionner de la photographie moderne, Walker Evans commence à photographier dès les années 1920 lors de son séjour à Paris. Il découvre par la même occasion la vie culturelle parisienne ainsi que deux artistes français : l’écrivain Gustave Flaubert et le photographe Eugène Atget. Walker Evans retient de Flaubert le réalisme littéraire et d’Atget un nouveau regard sur la modernité. De retour aux États-Unis, il est engagé en 1936 par le magazine
Fortune
pour un reportage dans le
Deep South
, là où les conséquences de la crise financière sont les plus visibles. Evans ne travaille pas seul, il est accompagné de l’écrivain James Agee. Tous deux partent à la rencontre des familles de métalliers. James Agee prend des notes tandis que Walker Evans prend des photographies où le regard face au modèle se veut distancé et objectif. Pas de pathos ou de mise en scène exacerbée, seulement la simplicité des maisons, des objets, des corps et des visages.
Portraits de rue et d’anonymes
Célèbre pour ses reportages sur la misère paysanne, Walker Evans a également été le photographe de la vie moderne, des rues et des passants furtifs. Tel est justement l’objet de l’exposition
Walker Evans. Anonymous
de la Fondation A Stichting, où le visiteur déambule parmi des photographies d’anonymes. Un visage et une expression chaque fois différents dans un décor toujours semblable : un pan de mur, la façade d’une maison ou les vitres sombres du métro. Evans devient le révélateur d’une Amérique anonyme où subsiste le goût pour les objets du quotidien, l’architecture, la vie moderne, les voitures et les écriteaux publicitaires, déjà perceptible dans ses photographies des années 1930 sur la grande dépression.
Jusqu’en 1965, le photographe erre à Chicago, à Détroit, à New York, photographiant ces anonymes soit sur leur lieu de travail, soit au cours de leur déplacement dans le métro. Les photographies de Walker Evans nous montrent un échantillon de gens ordinaires appartenant à toutes les classes sociales. Le photographe n’est plus le seul flâneur, ses modèles le deviennent aussi. La même exigence apparaît au fur et à mesure des clichés : une absence de subjectivité inspirée par Flaubert, lequel affirmait que l’artiste doit être « ressenti, mais jamais être vu ». Walker Evans rend donc visible le quotidien des Américains sans empathie grâce à l’emploi d’une lumière rasante qui met en exergue les détails, les jeux d’ombres et les visages.
Mentionnons aussi que la galerie expose une série de Polaroïd peu connue du photographe américain et réalisée à la fin de sa carrière. On y reconnaît un goût pour les plaques érodées, les déchets, les affiches publicitaires, les routes, les carcasses de voitures, toutes les traces de la vie urbaine des années 1970.
Une série d’images qui nous évoque notre propre quotidien, comme les regards échangés avec des inconnus au cours d’un trajet de métro, les déambulations urbaines, la foule et ses passants pressés, les jeux écrits des affiches publicitaires ou l’ambiance tonitruante de la ville. On retient aussi ces clichés où Walker Evans photographie à plusieurs reprises la vitrine de la boutique d’un photographe, lieu où l’artisan photographe affiche ses photos en petit format pour « appâter » les futurs clients qui pourraient s’identifier aux modèles photographiés. Mise en scène ludique qui représente à nouveau des anonymes devant un même cadre et un même point de vue.
Photographe au regard distancé et auteur d’un véritable projet à la fois artistique et documentaire, Walker Evans a tout au long de sa carrière tenté de rendre compte de la réalité de la manière la plus objective possible. Ses photographies d’anonymes ne sont pas seulement des portraits d’Américains, elles sont aussi des photographies américaines dans lesquelles se dresse le portrait de l’Amérique au quotidien.