critique &
création culturelle
Wild Women de Cécile Mavet

« Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien ne t’arrivera. »

Préparez vos bagages et faites le vide dans votre tête : Wild Women , le premier documentaire, de Cécile Mavet nous emmène aux quatre coins du monde, tout en restant dans une maisonnette en bois.

« Je vous souhaite un bon voyage », murmure la réalisatrice avant que la lumière ne s’éteigne. Pour son premier long-métrage documentaire, Cécile Mavet nous invite au cœur de son intimité . En 2019, elle se recueille en ermite avec pour seul témoin sa caméra. Pendant six mois, la réalisatrice vit dans une cabane au milieu de la forêt, nourrie et logée par un couvent de sœurs. À la croisée de son expérience introspective, les témoignages de cinq femmes se succèdent à l’image. Nathalie Delay, Petite Soeur Elie Emmanuel, Rabbi Shefa Gold, Hayat Nur Artiran et Annick de Souzenelle sont toutes engagées dans la spiritualité. Judaïsme, islam, tantrisme, ou christianisme sont au cœur de leurs vies et elles nous expliquent comment et pourquoi.

Wild est généralement traduit par « sauvage », comme une plante ou un animal : à la fois tenace et fragile, résistant mais cassable à tout instant. Tel est l’univers dans lequel nous plonge la production de Cécile Mavet. Dans la bulle intime de sa cabane, il ne faut pas faire de bruit. Le parquet craque, le feu crépite, et la neige tombe en silence. Cette esthétique de la lenteur est entretenue dans toutes les scènes. En fermant les yeux, on pourrait croire à une séance de relaxation, guidée par la voix off qui remplace le visage de la réalisatrice et actrice, qu’on ne voit jamais. Le côté sauvage est également suggéré par l’omniprésence de la nature. La même forêt et le même étang reviennent sans cesse, changeant d’aspect à chaque fois. On se laisse conduire par les saisons et leurs effets sur la recluse qu’est devenue la cinéaste. Au fil des mois, son regard change, et ses plans avec. Le temps transforme cette forêt et cet étang qui deviennent familiers pour elle et pour nous. En apparaissant dans l’ordre chronologique, la retraite crée un chemin qui nous aide à ne pas nous perdre. Les jours défilent et nous font avancer dans le film. On évolue avec lui, sans oublier les cinq femmes qui murmurent à nos oreilles leurs visions de la vie.

Mais wild peut aussi se traduire par « fou, délirant ». N’est-ce pas ce que l’on redoute en passant trop de temps seul ? La cinéaste tourne et retourne les objets sacrés qu’elle a emporté avec elle, comme pour illustrer ses questionnements. Le doute la hante, on se demande si elle va tenir. Ses croyances, parfois ébranlées pendant ce voyage intérieur, entrent en résonance avec celles des femmes qu’elle interroge. Plongés dans leurs lieux de vie et de prière, nous sommes pendus à leurs lèvres. Elles apparaissent comme des grandes sages, mises en valeur par des lumières naturelles et des attitudes pleines de force. Les chants spirituels, seule musique que l’on entend tout au long du film, sont des moments d’émotion forte en communauté, presque d’extase, qui rompent avec la solitude mais à la fois lui font écho. On y retrouve en effet cette même impression de transe, d’hypnose.

© Rinko Kawauchi, « Cui Cui » http://rinkokawauchi.com/en/works/213/

Wild peut finalement être traduit par « tempétueux, extravagant ». Le minimalisme qui règne dans les images de Cécile Mavet évoque une tempête intérieure bien plus grande. Dans cette vie d’ermite, chaque geste compte. Chaque action est délicatement exécutée, décortiquée, savourée, et devient finalement un rituel. La seule action de filmer peut être perçue comme un rituel, une manière de trouver du sens à l’isolement. Le calme des scènes demeure en parfait contraste avec ses pensées bouillonnantes. En alternant entrevues et scènes seules, la réalisatrice parvient à donner du relief aux lumières et à la bande sonore, et ainsi à reproduire ce contraste intérieur en images. Très photographiques, ses plans ne sont pas sans rappeler les images de la japonaise Rinko Kawauchi . Dans son travail « Cui Cui », on retrouve la même sincérité dans la manière de capturer des moments simples et les mêmes contrastes entre communauté et isolement, pleins et vides, intérieur et extérieur.

En définitive, Wild Women est un film qui mérite un œil sensible et un esprit ouvert. Loin des documentaires surproduits, nous sommes ici face à une œuvre très personnelle et singulière. Il faut se laisser cueillir, accepter la lenteur et savourer la douceur. La réalisatrice ne se veut pas objective face aux paroles des femmes, elle témoigne simplement de rencontres et d’expériences qui ont enrichi son rapport à la spiritualité et à la vie. Elle propose, à travers ce film, d’en faire à notre tour la connaissance et d’en saisir ce qui nous plaît, ce qui nous touche. « Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien ne t’arrivera. Si tu ne vas pas dans les bois, jamais ta vie ne commencera. »

 

Wild Women

Réalisé par Cécile Mavet

Avec Cécile Mavet, Nathalie Delay, Petite Soeur Elie Emmanuel, Rabbi Shefa Gold, Hayat Nur Artiran, Annick de Souzenelle

Belgique, 2022

90 minutes

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