Woyzeck
Georg Büchner fait figure de précurseur dans la littérature allemande. Mort à 24 ans, il n’en est pas moins l’auteur de trois pièces qui toutes ont leur place dans le répertoire théâtral européen. Atteint du typhus, il n’eut ni le temps, ni la force de terminer Woyzeck . Hasard ou réelle volonté artistique chez le jeune prodige, ce texte annonce à la fois les futures pièces fragmentaires et la tragédie à l’échelle humaine.
Ici, pas de drame touchant aux dieux ou aux grands des mondes antiques gréco-romains ou anglais. Franz Woyzeck est bel et bien un être humain, un du bas de l’échelle sociale… Cette humanité, Michel Dezoteux nous la fait ressentir , dans une mise en espace tout en longueur, qui plonge le public à la fois dans la vaste étendue d’une ville de garnison, dans un panorama cotonneux, enneigé, sablonneux, secret, nocturne, psychologique et somatique. Cet infini du décor n’est cadré que de barrières métalliques , tantôt portes d’entrée, tantôt cages, qui transforment la scène en arène ou en piste de cirque où seront donnés des numéros de cabaret, de music-hall et de cinéma.
Point de cirque cependant, si ce n’est celui de la vie. Comme Shakespeare qui comparait la vie à un grand théâtre, Dezoteux rapproche la marche des vivants à une lutte où seuls les fous ont l’inconscience tranquille de leur folie douce . Les spectateurs qui se laissent prendre par cette ambiance morbide et noire s’introduisent dans l’univers mental et psychédélique du héros en quête de sens à sa vie… Quel paradoxe lorsqu’il s’agit d’un tapis de neige. Toutefois pour entrer dans ce microcosme étrange, le spectateur doit se laisser envahir, et ce n’est pas gagné. C’est peut-être là où le bât blesse. Si un dépoussiérage de cette pièce de 1837 peut s’avérer nécessaire, quoique des puristes jureraient le contraire, ce passage de serpillière peut pénétrer trop loin dans la fibre de la fable et effacer des scènes indispensables à la compréhension de la fiction.
En effet, cette histoire d’amour entre Frans et Marie, un troupier et une Marie-couche-toi-là est amputée des rapports que l’autorité exerce sur les plus faibles. Marie est « belle comme le péché », et Woyzeck cherche un sens aux choses de la vie et de l’argent. Il n’a « été à la guerre que pour fortifier son amour de la vie » , sorte de quête cabalistique, influencée par l’ingestion expérimentale de petits pois et de médocs contre monnaie sonnante et trébuchante… Est-il fou ou le docteur-chercheur transforme-t-il la perception du cobaye jusqu’à le rendre schizophrène en vue d’expériences immortelles ? Ou bien Woyzeck feint-il la folie comme Hamlet ? Le héros allemand entend des voix, l’anglais parle avec un père spectre, l’un hallucine des tragédies, l’autre donne des leçons de comédie !
Le nombre et le type de personnages sont déconcertants, Büchner s’est inspiré d’un fait divers . Nul étonnement donc, puisqu’il nous raconte le tragique destin d’un petit soldat qui traverse la vie et croise d’autres vivants qui eux-mêmes traversent la vie et croisent… C’est ainsi que Woyzeck fréquente Marie, des militaires de tout grade, un docteur, des habitants jeunes et vieux, ouvriers ou bourgeois… Mais l’auteur convoque aussi enfants, fou, bonimenteur, cheval, singe, chat apprivoisé, sans oublier… un bébé qui a des actions à exécuter. Qui peut prétendre avoir la trésorerie nécessaire à cette création ? Une solution : réflexion artistique… Alors chapeau bas à Michel Dezoteux et ses collaborateurs pour cette adaptation, pour cette re-création. Osons le terme, puisqu’aux différents tableaux de Büchner, sont adjoints des morceaux de cousins germains, Heiner Muller et Peter Handke.
La lumière (Éric Vanden Dunghen) ponctue le voyage. Où est le réel, où est le psychique ? Nous errons entre les paysages de la fable et les méandres du cerveau de Woyzeck, et par l’éclairage à la flamme ou à la lampe de poche, dans le thriller. Une exploration artistique intelligente de plus. La projection d’un film à même le plateau soutient ce climat. À moins de ne pas l’avoir vue, la disposition scénique tout en longueur n’aidant pas la visibilité optimale de certaines scènes.
En ce qui concerne l’atmosphère sonore (Alexis Koustoulidis), elle actualise la pièce. La partie chantée est confiée à Fanny Marcq et à Denis Mpunga , qui vaquent entre interprétations textuelles et instrumentales.
Une équipe de comédiens talentueux que l’on sent bien gérés, bien dirigés, dans une écriture bien digérée. Certains des artisans du spectacle œuvrent ensembles depuis plusieurs projets et ont semble-t-il trouvé un langage commun. Puisse cet univers s’ouvrir aussi au public.
Et pour nous plonger dans l’ambiance avant le spectacle ou la prolonger après la représentation, sont exposées sur les murs du Varia une série d’affiches conçues par les étudiants de l’ERG . N’hésitez pas à regarder ces projets. Il s’agit des concepteurs qui s’afficheront plus tard dans nos rues, nos magasines ou nos salles d’expos.
Du 19 Mars au 04 Avril 2015
Plus d’infos,
Varia.be