À l'écoute de Zone 58 , une création sonore de Gaspard Audouin, Jacques Lemaire et Maxime Renaud, on découvre des strates de vie cachées. Ce docu-fiction nous révèle des imaginaires urbains oubliés et déjà bientôt effacés des mémoires par l'ouverture de Brucity, le nouveau centre administratif de la ville de Bruxelles… jusqu'aux prochains travaux.
Au commencement, un son sombre et sourd. Un son abyssal, à l'instar du vide laissé en plein milieu de Bruxelles lors de la destruction du parking 58. Ce bâtiment initialement construit en vue de l'exposition universelle de 1958 révèle par sa disparition tout un lot de questionnements urbains.
Dans Zone 58 ‒ titre dont la référence à la Zone 51 appuie déjà l'idée d'une chose cachée, d'un possible irréel ‒ toutes ces problématiques sont amenées subtilement par l'usage de voix multiples. Celles-ci permettent des changements de registre rapides, qui donnent du rythme au podcast et l'expression de ressentis divers face à ce lieu étrange, comme en suspens. On y entend de la colère, se mêlent une peur du changement et un agacement envers la gestion urbanistique moderne, mais aussi beaucoup d'inventivité face à ce que cet endroit pourrait devenir : une piscine naturelle, une grande cabane, une forêt souterraine, un centre d'art…
Les parties un peu cut du montage audio servent finement le propos, appuient l'idée d'un Bruxelles fouillis, foisonnant, un peu bordélique. L'idée revient dans les entretiens que ce trou à ciel ouvert, au moins, brise l'aspect de plus en plus aseptisé de la capitale.
« On a envie de crier dans ce truc » dit l'un. Un autre trouve que ce vide ouvre la ville, l'allège. Ça libère la vue et les corps.
On voudrait presque la laisser comme ça, cette place, comme un chantier éternel qui nous connecte au passé et laisse l'imaginaire du futur ouvert, parce qu'avec la bruxellisation c'est tout un jeu de tissu vivant que l'on perd. À bétonner à tout va, on est en train de construire des cités pleines de barrières entre les vivants.
Dans ce podcast, les voix des gens du quartier, des experts et des médias se mêlent joyeusement comme des avis qui auraient la même valeur narrative. Les voix qui se mélangent sont aussi celles du réel et de la fiction, car plus on avance dans cette pièce, plus on sombre de l'une à l'autre.
La voix du réel documente, la voix de la fiction... documente aussi à sa manière. Elle parle des espoirs et des mythes qui font ‒ aussi ‒ ville.
Au milieu du chantier un passé apparaît, en creux. Sous le parking 58, on découvre des traces de la rivière perdue de Bruxelles : la Senne.
Cette rivière oubliée autour de laquelle la capitale est née a disparu en sous-sol il y a 150 ans à l'initiative du bourgmestre Jules Anspach. À l'instar des travaux haussmanniens à Paris, le voûtement de la Senne avait pour but de transformer des quartiers labyrinthiques et populaires en centre-ville moderne et bourgeois.
Entre les décombres se devinent les anciens quais, on y retrouve des objets vieux de plusieurs siècles. Une archéologue parle des négatifs de chaussures trouvés à certains niveaux de la fouille. À l'écouter, c'est en fait toute une vie en négatif que l'on redécouvre.
Et, dans le podcast, le soir de la fête nationale, l'eau qui avait été enfermée sous la ville resurgit. Les habitant.e.s se retrouvent alors à s'interroger sur cet invisible qui se trouve sous nos pieds.
À travers leurs témoignages, la fiction se mêle petit à petit au réel mais cela de manière tout à fait crédible car finalement, peu importe ce qui est véridique, ce qui compte ici sont les histoires que l'on se raconte pour continuer à exister ensemble dans la ville.