Capharnaüm
De la misère, en veux-tu ?
En voilà, et c’est tout ce que t’auras !
5 février 2019 par Antoine Prevot dans Cinéma | temps de lecture: 5 minutes
Prix du jury au festival de Cannes, l’histoire du petit Zain en a ému plus d’un depuis sa sortie en salle, le 17 octobre dernier. Nadine Labaki a choisi, pour son troisième long métrage, de nous parler d’un jeune garçon qui intente une action en justice contre ses parents pour lui avoir donné la vie… Ainsi nous vend-on Capharnaüm.
Une vie pas facile
Le début du film nous expose la fameuse scène du tribunal mise en avant dans la bande-annonce, dans laquelle le garçon attaque ses parents pour l’avoir mis au monde. De là, démarre un long flash-back. Zain et sa grande famille vivent dans un petit appartement pitoyable d’une grande ville qu’on devine du Moyen-Orient. En plus de vendre des boissons rafraîchissantes faites maison, de trafiquer des médicaments et de mendier dans les rues avec sa sœur Sahar pour ramener de l’argent à sa famille, Zain travaille chez l’épicier du coin, un grand rustre d’une trentaine d’années. Âgé d’une douzaine d’années, l’enfant est le seul à veiller sur Sahar, qui semble avoir le même âge. Malgré les efforts de Zain pour cacher à ses parents que sa sœur est devenue une « femme », ceux-ci le découvrent et ne tardent pas à la marier à un homme bien plus vieux, dont elle ne sait rien, mais qui paiera bien : l’épicier. Zain, impuissant face au départ de sa sœur et profondément dégoûté par l’attitude de ses parents, entre dans une colère monstre et fuit le domicile familial. Commence alors son périple dans la ville : sa survie, seul dans la rue ; la rencontre avec une Éthiopienne et son bébé ; la vie chez elle, dans un bidonville où il doit garder le bambin pendant qu’elle travaille ; la disparition de cette mère ; l’expulsion des deux petits hors du bidonville ; leur survie dans la rue à deux ; et ainsi de suite, de malheur en malheur… En outre, le garçon rêve de gagner l’Europe du Nord. Toutefois, pour émigrer, il lui faut au moins deux choses : de l’argent et des papiers. Il incombe donc au petit Syrien de rentrer chez lui réclamer ses documents. Il y fera de sombres découvertes qui le mèneront vers de nouvelles disgrâces…
Un contrat non respecté
Le principe du film, déjà suffisant pour bouleverser ses spectateurs, est biaisé… En effet, le procès, presque absent du récit, n’est qu’une excuse pour introduire la misérable misère miséreuse dans laquelle vit le pauvre petit Zain, si courageux et si mignon derrière sa petite mèche rebelle et ses yeux brillant d’un mélange de tristesse et de détermination. En plus de la pauvreté et de la mauvaise prise en charge que subissent beaucoup d’enfants, le film traite aussi de la condition des femmes (mariage forcé), de la migration (Éthiopienne au Liban, Syriens au Liban, volonté de gagner l’Europe), et d’autres injustices sociales (inscription à l’État civil payant, etc.) si bien qu’on se perd un peu dans les intentions de la réalisatrice. La promesse d’un débat entre un fils et ses parents n’est pas tenue et on assiste juste, durant deux heures, aux pérégrinations désastreuses du jeune dans une misère pitoyable et, il faut bien l’avouer, on ne comprend pas trop où l’on va ! Cela dit, les circonstances désastreuses qui encadrent Zain et ceux qu’il côtoie dépeignent une terrible réalité de notre monde. Ainsi, derrière le caractère pleurard du film et la déception d’un contrat non respecté, il faut admettre qu’on y dénonce un système problématique bien réel.
Un jeu épatant
Bien sûr, le jeu des acteurs est incroyable, c’en est même épatant pour le jeune Zain Alrafeea (Zain). Il faut reconnaître que la réalisatrice a eu une bonne idée en organisant son casting : tous les acteurs, sauf elle-même, jouent un rôle similaire à leur propre personne, de sorte qu’ils sont amenés à raconter leur propre histoire. C’est réussi ! Les personnages de Zain et du bébé (Yonas) sont très attachants et admirablement bien joués. De plus la mise en scène rend les évènements particulièrement intenses et réalistes : un cocktail parfait pour faire sortir les mouchoirs dans la salle. Dommage que les pleurs ne soient, à aucun moment, ni de joie ni de rire, mais bien de déchirement (empathie avec les personnages) ou de culpabilité (petit Européen bien au chaud, installé confortablement dans son fauteuil face à la misère du monde) : des émotions fortes, oui, mais négatives, en somme.
Quel intérêt ?
Je conseillerais aux amateurs de purs drames, déchirants et larmoyants d’aller voir ce film. Le réalisme et la qualité du jeu des acteurs sont appréciables et les émotions sont garanties. Cependant, si le jeu en vaut la chandelle, c’est moins le cas de l’histoire. Ces tribulations terribles mais sans grand intérêt – dont le prétexte est un procès qu’on n’achève pas – auraient été convaincantes dans un bon documentaire sur les sujets traités, mais sont décevantes dans un film dont on attend un récit avec un peu plus de rebondissements et d’enjeux.

L'auteurAntoine Prevot
Professeur de français en devenir, je vois en Karoo l’opportunité d’améliorer mes compétences de scripteur, d’enrichir mes connaissances culturelles et d’exploiter un large panel de textes authentiques dans mes futures…Antoine Prevot a rédigé 2 articles sur Karoo.
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