Colette,
ou le génie féminin réprimé
21 janvier 2019 par Caroline Derycke dans Cinéma | temps de lecture: 6 minutes
Ce dimanche 13 janvier, j’ai eu la chance de me rendre à Bozar pour assister à l’avant-première de Colette, film biographique américano-britannique réalisé par Wash Westmoreland. Le visionnage du film était précédé d’un débat entre les auteures Heleen Debruyne et Caroline Lamarche, mené par Dirk Leyman.
Qu’attendre de Colette ? De cette auteure française, je ne connaissais que le nom, déjà vaguement entendu. Derrière lui se cache pourtant une romancière, actrice, mime et journaliste qui a fait sensation dans le Paris de la fin des années 1890.

Ayant grandi dans un foyer où l’on aime lire, Gabrielle Sidonie Colette, portée à l’écran par Keira Knightley, ne se destine pourtant pas à une carrière d’écrivain. C’est sous la houlette de son mari, Willy (fabuleux Dominic West), romancier à succès – grâce à ses nombreux nègres, que Colette se met à l’écriture et crée le personnage de Claudine, en s’inspirant librement de ses souvenirs et expériences. Claudine à l’école, premier volume des aventures de la jeune fille publié sous le nom de Willy, fait très vite couler l’encre dans Paris et attire les foules. Incapable de réfréner son goût immodéré pour le jeu, les sorties et la bonne compagnie, Willy s’empresse de savourer ce nouveau succès avec sa femme. Colette se voit pourtant tout de suite refuser l’essentiel : emporté par la gloire et les mœurs de l’époque, Willy refuse que le public sache qui se cache réellement derrière la plume qui a créé Claudine. Le comportement injuste de Willy envers sa femme et son refus de lui accorder la reconnaissance qui lui est due est, pour moi, le fil conducteur de Colette.
Willy n’est pas un tyran : il aime sa femme, l’écoute, la protège et l’inclut dans sa vie et ses sorties. Mais une autre forme de domination marque le film. Fille de la France provinciale, Colette aime la nature, elle a besoin du silence de la campagne cher à son cœur pour s’évader du tumulte excitant de Paris. Willy la surprend en achetant une maison loin de la ville : seule, elle trouvera là de quoi se ressourcer, mais aussi un cadre rêvé pour écrire la prochaine aventure de Claudine pendant que son mari continue de mener sa vie de plaisirs dans la capitale. Étonné de voir que Colette s’est consacrée à l’aménagement de la maison et n’a pas écrit une seule ligne pendant son absence, Willy finit par l’enfermer pour la pousser à écrire, alors qu’elle n’en a pas la moindre envie. C’est pourtant le mode de vie effréné de Willy qui est la source de ses problèmes financiers, et qui force Colette à produire un autre livre.

Willy fait main basse sur Claudine alors qu’il n’en est pas l’auteur initial et garde Colette en laisse, profitant sans limite de son travail. Face au succès rencontré par les romans, Claudine devient une véritable marque et se voit déclinée en tout un tas de produits dérivés : savons, bonbons, parfums, éventails,… L’héroïne finit par dépasser le cadre de la fiction et s’invite même dans la vie du couple. Ainsi, lors de disputes, Colette et Willy se demandent ce que feraient Claudine et Renaud à leur place. Colette coupe ses cheveux « à la Claudine », et, dans la chambre à coucher, Willy aime que sa femme enfile la sage robe noire au col blanc qui caractérise son personnage. Claudine devient véritablement l’enfant du couple, et s’infiltre dans tous les aspects de leur vie La place de plus en plus grande qu’elle y prend aura des conséquences désastreuses.
Les exemples sont nombreux, et le résultat évident : tout au long du film, Colette, qui vit une vie normale en apparence, est réprimée par son mari. Willy a tous les droits et bride la liberté de sa femme. Toutefois, il est intéressant de noter que dans l’intimité, il ne s’oppose pas à ce que Colette mène sa propre vie et entretienne des relations avec d’autres femmes. La sexualité de Colette représente le deuxième grand axe d’intérêt du film, en offrant une nouvelle approche au débat sur la condition de la femme. C’est en effet en public que ce genre d’attitude devient tabou, tout comme révéler au monde qu’une femme puisse écrire des romans à succès. La liberté d’esprit dont Willy fait preuve dans sa vie privée contraste avec la façon archaïque dont il traite Colette par rapport à ses écrits.

Au niveau de la structure-même de Colette, un autre décalage se profile. Le film est porté par un casting anglo-américain, alors que l’intrigue se passe en France et raconte l’histoire d’une romancière française. Pour accentuer l’authenticité du film, Colette écrit en français alors que le voice over se fait en anglais. Cette technique perturbe le spectateur francophone, qui grince également des dents en entendant les noms français écorchés dans la bouche des personnages. On soulignera aussi la piètre imitation d’accent américain d’Eleanore Tomlinson.
D’autres contrastes se dessinent également dans les tons des plans : la grisaille et la pollution de la capitale est contrebalancée par les paysages chatoyants de la campagne. Cette opposition reflète l’état d’esprit de Colette : exaltée par les opportunités que Paris lui présente, elle n’y trouve toutefois pas le terreau propice à l’épanouissement de son art. Constamment reléguée au second plan comme la charmante épouse de Willy, Colette reste dans son ombre et ne peut laisser libre court à sa créativité. Elle tente bien de briser ce carcan en se tournant vers d’autres formes d’art, mais Willy la rattrape sans cesse. En revanche, une fois loin du tourbillon de la capitale et des mœurs de la société de l’époque, Colette est apaisée et redevient elle-même. Au détour des soirées mondaines et des spectacles, le spectateur est agréablement transporté dans le Paris de la Belle Époque. Le film tire néanmoins quelque peu en longueur par le côté répétitif de certaines scènes
Colette, en faisant la lumière sur un personnage injustement méconnu du grand public actuel, reste néanmoins un film à voir. On apprécie particulièrement les photos et faits réels ajoutés au générique de fin – on apprend ainsi que Colette finit par gagner la bataille juridique cherchant à prouver qu’elle est bien l’auteure des Claudine. Ces petits instantanés donnent encore plus envie de se pencher davantage sur la vie de cette femme d’exception.
L'auteurCaroline Derycke
Passionnée des langues et des mots, c’est le nez dans un livre qu’on me trouvera le plus souvent.Caroline Derycke a rédigé 1 article sur Karoo.
Derniers articles
Vos réactionsCommentaires
À votre tour de nous dire ce que vous en pensez, en toute subjectivité...