critique &
création culturelle
Filmer l’inventaire

Du 5 au 15 novembre a eu lieu le festival Filmer à tout prix. Tous les deux ans, cette manifestation propose une programmation variée qui veut interroger nos rapports aux autres et aux objets. Plusieurs cinémas (Aventure, Flagey, Nova, ainsi que le café Georgette et l’école des arts Ritcs) s’allient pour diffuser des films de qualité ; les cinéastes belges, nombreux, étant épaulés par des confrères internationaux.

Du 5 au 15 novembre a eu lieu le festival Filmer à tout prix. Tous les deux ans, cette manifestation propose une programmation variée qui veut interroger nos rapports aux autres et aux objets. Plusieurs cinémas (Aventure, Flagey, Nova, ainsi que le café Georgette et l’école des arts Ritcs) s’allient pour diffuser des films de qualité ; les cinéastes belges, nombreux, étant épaulés par des confrères internationaux.

La projection a lieu à 21 heures à la Cinematek de Bruxelles. La salle est intimiste mais chacun pourra profiter à son aise du spectacle. Le premier court métrage peut commencer. Il s’agit de Tops de Charles et Ray Eames. Sans dialogues, le film s’intéresse à la tradition d’un jeu encore vivace : celle des toupies. Ces petits objets, en bois brut parfois, mais plus souvent vivement colorés, valsent à l’écran. Certaines toupies, décorées de chiffres, nous rappellent nos classiques dés à six faces. Contemplatif, le film met en scène le rituel qui consiste à entourer sa toupie d’une corde avant de la projeter. S’il y a une chose à retenir de Tops , c’est ce sentiment que tout ne tient qu’à un point de friction. Un savant point d’équilibre qui doit être trouvé mais dont les frottements, toujours, mènent à la chute. Le film est servi par une bande-son qui, sans s’imposer, magnifie les mouvements fluides.

Le second court métrage, les Lunettes , d’une durée d’à peine deux minutes, met en scène sa réalisatrice Pauline Horovitz confrontée à sa myopie. Elle expose ce qui est devenu une collection de lunettes, moins dictée par les aléas de la mode, quoique nous puissions effectivement voir les années défiler avec les paires, que par l’évolution de sa maladie. Pauline Horovitz nous raconte les baisses répétitives de sa vue, sa tentative ratée de porter des lentilles et son opération devenue nécessaire. Anecdotique mais sympathique.

Semiotics of the Kitchen de Martha Rosler, sorti en 1975, rappelle de façon ludique les grandes heures du structuralisme. Seule face à un plan de travail, l’artiste passe en revue les instruments de cuisine, mimant allégrement leur utilisation. De la casserole à la poêle en passant par les bocaux ou la louche, rien ne manque. Ainsi, notre environnement quotidien devient terrain de jeu et nos pratiques ordinaires sont interrogées. Un essai culte pour qui aime le second degré !

In the Bag d’Amy Taubin n’a pas pris une ride. Tourné en 1981, ce court métrage de vingt minutes a gagné notre préférence. Sur le fond sonore de ce qui semble être un aéroport, lieu de passage par excellence, un sac est retourné. De ce simple fait, filmé tantôt sur une table de bois, tantôt sur un lit bleu, découle une réflexion prenante. L’artiste, dont on ne voit que le bras, sort un à un les objets du sac : porte-feuilles, trousse à maquillage, carnet… La sécurité interne est abolie, le sac est retourné, coutures apparentes. L’intimité d’une culotte est ainsi exposée. Cet étalement contient l’objet de sa destruction : des ciseaux de couture. Le dénombrement tourne au démembrement. Mouchoirs, tickets, feuilles, tout est déchiré en petits confettis. Une première abolition de la personne a lieu avec le découpage de photos qui représentent sans doute la propriétaire du sac. Elle sera suivie par d’autres : ses lunettes sont cassées, son miroir brisé. Les morceaux sont rassemblés puis éloignés, et ainsi de suite. Ces reliquats se succèdent sous forme de flashes stroboscopiques entre table brune et lit bleu.

Dans le même esprit, Vide ton sac de Rosangela Maya propose à des personnes croisées dans la rue de nous faire découvrir le contenu de leur sac. La réalisatrice nous disait qu’elle ne voulait pas revoir son travail et qu’elle ne venait que pour son fils. Plus personnel qu’ In the bag , le film est pourtant plaisant. Fondé sur différentes thématiques comme le sac-ré ou le sac-cage, le court métrage se concentre sur les objets qui sortent du quotidien. Une Russe nous montre ses images pieuses. Une jeune fille sort une culotte sale de son sac. Un garçon s’interroge : « J’espère que je ne vais pas sortir de la beuh. » Un film proche des gens et toujours dans l’affection. Un extrait de Vide ton sac est visible ici .

Jean Rouch

La soirée se termine en beauté par le film de Julien Donada et Guillaume Casset, l’Inventaire de Jean Rouch . Pendant une demi-heure, un intervenant propose au maître français du cinéma des objets d’éclairer sa carrière. Photos d’Afrique, appareil photo, ancien enregistreur, chaque trouvaille est l’occasion de découvrir une anecdote sur le cinéma de l’époque et plus généralement sur les interpénétrations entre cinéma, littérature et peinture au sein de la Nouvelle Vague. Un film un poil longuet pour qui n’est pas fan de Jean Rouch mais riche en enseignements. À regarder absolument si vous appréciez l’homme.

Cette sélection de courts métrages était programmée dans un ensemble plus vaste intitulé, en référence à Francis Ponge, « le Parti pris des objets ». Ce jeudi, l’accent était mis sur « l’objet d’inventaire », qui désignait aussi bien le contenu que la forme des courts métrages, filmés avec un effet de liste où les objets s’étalent dans leur nombre ou dans leurs déclinaisons. Ce point de vue avait le bon ton d’innover face aux habituels reportages sur les techniques de fabrication pour proposer une interrogation plus humaine quant à notre cohabitation constante avec ces objets.

Et parce que Filmer à tout prix reste avant tout un festival, voici le nom des lauréats de cette édition 2015 :
– Long métrage belge, grand prix du Jury : Kosmos de Ruben Desiere.
– Long métrage étranger, grand prix du Jury : 28 Nights and a Poem d’Akram Zaatari.
– Prix de la SABAM pour un court métrage belge : The Vanishing Vanishing – Point d’Effi Weiss et Amir Borenstein.
Le reste du palmarès se trouve sur le site du festival .

Même rédacteur·ice :

Filmer à tout prix
Festival du documentaire