critique &
création culturelle
Frankie sur le rivage

Frankie marque la première incursion du cinéaste américain indépendant Ira Sachs en Europe, et plus précisément au Portugal, à Sintra. Un dernier voyage qui tourne un peu à vide.

Film choral de retrouvailles, interprétées par des acteurs au casting international, avec en tête Isabelle Huppert, Frankie peine à véritablement décoller et à nous toucher. Le film est plombé par des situations et des échanges entre personnages peu convaincants, non dénués d’une certaine lourdeur et qui sonnent assez creux. Ces personnages, qui gravitent autour de Frankie, manquent ainsi de relief, et par là même d’incarnation. Ce qui en fait dans son ensemble un portrait collectif morcelé, mais bien trop disparate.

Frankie, actrice reconnue, condamnée par la maladie, a convié sa famille décomposée à Sintra. Mais cette réunion, plutôt que de renforcer les liens entre les membres de la famille, censés s’unir dans la douleur, et plutôt que de panser leurs blessures, fait davantage place à leurs tensions et à une certaine distance entre eux. Ils doivent déjà régler leurs propres problèmes, qui semblent si futiles comparés à celui de Frankie, en prise avec un processus dont l’issue est inéluctable. Plusieurs plans, jumelles en mains, sont révélateurs de cette distance : certains s’épient en se regardant de loin, et chacun garde pour soi ce qui le tourmente.

Retrouvailles familiales à Sintra, donc, station balnéaire portugaise au charme évident, nichée dans l’étendue de son paysage avec, au loin, l’océan et les collines boisées d’où s’élèvent des maisons et palais aux couleurs vives. Un lieu et un décor aux multiples facettes, tantôt parsemés de lumière où se détache un horizon idyllique, tantôt, dans les hauteurs, écrasés sous une brume pesante. Le film, dans ce lieu hétéroclite où les membres de la famille ne cessent de déambuler, est donc traversé par des sentiments contraires. C’est la vie qu’il faudra continuer à mener sans Frankie, la vie devant soi, avec une ouverture vers l’horizon, comme en témoignent les premiers amours de la jeune Maya sur la plage avec un jeune portugais du coin, ou ce dernier plan magnifique du film, impressionniste, où l’on sent sereinement couler le passage du temps. Et à l’inverse, au travers de cette brume épaisse qui enveloppe les êtres, dans les bois bordant la route, et cette pluie dans une autre séquence qui les empêche de sortir de leur abris, il y a aussi la sensation lourde d’enfermement, peuplée de non-dits, sensation qui se prête plutôt bien à cette famille fracturée. Mais hélas, les personnages ne sont pas aussi bien peints que ne l’est la ville.

Ira Sachs parvient tout de même à nous toucher dans quelques séquences, celles qui ne sont pas ou très peu dialoguées, où les personnages s’abandonnent : Frankie, lors de l’une de ses balades en solitaire, se fait inviter inopinément par des inconnues à une fête d’anniversaire, du coup pour un vrai moment de communion. Et on ne peut pas s’empêcher de penser au caractère éphémère de cet instant de partage et de joie. Ou lorsque le mari de Frankie, Jimmy, la rejoint délicatement sous les draps et l’enlace, pour ensuite la retrouver au piano pour un autre moment de recueillement partagé. On retrouve dans ces séquences la si belle pâte cinématographique d’Ira Sachs, cette façon qu’il a, en cinéaste de l’intime, de capter tout en douceur et fragilité les élans de ses personnages, sans tomber dans une forme de naïveté ou de préciosité. Mais, tandis que, notamment dans son film précédent, Love Is Strange , l’émotion était constante, elle n’affleure que par instants dans Frankie.

Dans Love Is Strange , Ira Sachs filmait un couple d’hommes à New York, qui n’ayant plus les moyens nécessaires pour vivre sous le même toit, étaient refoulés d’un appartement à un autre et devaient s’en accommoder. De Manhattan à son Brooklyn Village , ses personnages tentaient donc de trouver leur place, sans en prendre trop. Si Frankie est aussi un film de territoire, arpenté par les différents protagonistes, ici dans des grands espaces naturels, ils peinent pourtant à y inscrire leurs présences, et se perdent. Mais, Isabelle Huppert, en Frankie qui se sait condamnée, parvient tout de même à nous émouvoir au gré de ses déambulations. En femme actrice, elle semble s’abandonner à son propre rôle, sans chercher ni à le composer ni à le caractériser. Et dans son regard pénétrant, perçant, qui surplombe l’horizon, se lisent à la fois de la détresse et une forme d’acceptation.

Même rédacteur·ice :

Frankie

Réalisé par Ira Sachs

Avec Isabelle Huppert, Marisa Tomei, Brendan Gleeson, Jérémie Renier, Pascal Greggory, Vinette Robinson

France – Portugal, 2019

98 minutes