critique &
création culturelle
La Place de l’homme
Grossesse non désirée

Présenté au festival Filmer à tout prix, le premier film de Coline Grando aborde un sujet peu traité au cinéma et ailleurs : le ressenti des hommes confronté à une grossesse non prévue. Grâce aux témoignages de cinq hommes âgés de vingt à quarante ans, le film interroge aussi plus globalement les relations homme-femme.

On donne peu la parole aux hommes sur la question de l’avortement, tel est le constat qu’a dressé Coline Grando en réalisant son premier long métrage. Ayant d’abord recueilli les témoignages des deux sexes, elle a préfèré finalement se focaliser sur les hommes et la place qu’ils entretiennent face à cet évènement. Après avoir rencontré cinquante hommes et en avoir filmé dix-huit, elle a décidé finalement de n’en montrer que cinq. Pourquoi ?

Car ce sont les cinq qu’elle juge plutôt dans le ressenti que dans l’opinion. Par ailleurs, un format de soixante minutes pour cinq intervenants ne prête que douze minutes à chaque témoignage, et Grando voulait leur laisser le temps de raconter. Sans remettre en cause la légitimité qu’a la femme à disposer de son corps, le film interroge la façon dont l’homme peut prendre sa place lorsqu’un couple est confronté à une grossesse non désirée, et donc souvent interrompue.

Les cinq hommes se succèdent face à la caméra et se confient sur la façon dont ils ont vécu l’événement, du déni à la tristesse en passant par la joie, le soulagement ou le stress. Ce qui frappe le plus, c'est peut-être que ces hommes expriment n’être pas arrivés à s'impliquer comme ils le voudraient. Ils ne savaient pas comment s'y prendre face à la nouvelle car personne ne leur en avait jamais parlé. Face à ça, les hommes se retrouvent donc seuls avec un besoin de s'exprimer qui ne circule pas. Non seulement parce que parler de l’avortement avec sa partenaire, ce n'est pas toujours évident, mais aussi parce qu’en parler avec sa famille ou ses amis, c'est relativement tabou. Quand ils arrivent quand même à se tourner vers quelqu'un, c'est toujours naturellement vers une femme (une amie, une sœur ou une mère). Bien sûr, tous n'ont pas le même vécu ni les mêmes ressentis, mais leurs témoignages présentent une souffrance commune, celle de n’avoir pas réussi à s’exprimer comme ils l’auraient voulu.

La réussite de la Place de l’homme s’explique non seulement par le fond mais aussi par la forme et les moyens que la réalisatrice a mis en œuvre. Il semblait par exemple normal pour elle d’être la seule femme sur le tournage, car elle imaginait que les hommes auraient peut-être moins de mal à s’exprimer face à une équipe masculine. Par ailleurs, parce qu’il lui semblait impudique de filmer les hommes chez eux, elle les a fait parler assis, dos à un fond blanc, dans un espace qui n’existe pas et qu’elle a créé pour le film. Le minimalisme du dispositif permet de se concentrer sur le propos et de respecter l’intimité des intervenants. Il faut souligner le temps donné aux témoignages (dans une société de zapping, c’est un réel plaisir de voir des individus prendre le temps d’hésiter, de parler, et même parfois de se corriger). Toute la force de l’œuvre survient de cette succession de « détails », pensés avec pertinence et intelligence.

Finalement, même si toutes les questions n’ont pas pu être abordées (on aurait aimé en savoir plus sur l’impact que cet événement a eu sur leur couple ou sur leur rapport à la contraception par exemple), la Place de l’homme partage une parole masculine précieuse pour tous, tout en étant aussi un hommage à la femme, absente de la forme mais au fond, omniprésente.

La Place de l’homme

Réalisé par Coline Grando
Belgique , 2017
60 minutes