Avec De battre mon cœur s’est arrêté, Jacques Audiard propose un thriller aux teintes dramatiques, un film d’action aux tendances romantiques, du suspense, mais aussi des mœurs. La trame du récit verse dans tous les genres sans jamais s’accomplir pleinement dans aucun d’entre eux. Mais c’est sans doute ce qui fait la richesse de l’œuvre.
D’un film à l’autre
La productivité artistique s’épanouit lorsqu’elle est en prise avec quelque chose, un objet, un sujet ou une pensée. Mais elle s’épanouit aussi lorsqu’un artiste est conscient du regard qu’il porte sur le monde, ainsi que sur lui-même. D’un film à l’autre, un cinéaste modifie ou non cette conscience ; d’un film à l’autre, nous pouvons, nous spectateurs, nous permettre de mettre son œuvre en perspective. Passons alors au crible Jacques Audiard, fils (presque) prodige.
Tom travaille dans l’immobilier. Disons-le d’emblée, les méthodes que ses associés et lui emploient pour mener à bien leurs activités sont extrêmes, pas toujours très nettes, parfois carrément malhonnêtes. Cela donne rapidement de Tom l’image d’un jeune gars sûr de lui, sans beaucoup de scrupules et donc sans beaucoup de sensibilité. Son père a d’ailleurs le même profil que lui, un homme ayant une longue expérience professionnelle dans l’immobilier frauduleux et ne voyant pas d’inconvénient à en venir aux poings pour obtenir l’argent qu’on lui doit.
Derrière ce mur de nonchalance et de sarcasme qui semble être un trait de famille, les émotions de Tom demeurent insaisissables. Dès les premières images du film, il apparaît comme un personnage continuellement agité, tendu, effet constamment rehaussé par une image très mobile. On en vient rapidement à penser que sous cette nervosité se cachent tous les sentiments qui bouillonnent en lui mais auxquels on n’a pas accès. La caméra nous taquine d’ailleurs sans cesse avec de nombreux plans rapprochés sur le personnage, censés nous révéler ces émotions qui continuent pourtant à nous échapper.
Comme pour rester en harmonie avec son hyperactivité agitée, Tom écoute sans cesse une électro effrénée, un peu agressive. C’est donc une secousse significative dans la trame de son quotidien lorsqu’il décide, sur un coup de tête, de se remettre au piano et de passer une audition chez un imprésario. On lui découvre finalement une passion, une sensibilité inattendue. À partir de ce choix se tisse une dualité nette entre les deux versants du personnage, et c’est la lutte entre ces facettes difficilement conciliables qui va rythmer le film jusqu’à son aboutissement. Le jeune homme travaille son piano avec impatience, anxiété, acharnement colérique, autant de défauts qui permettent rapidement de comprendre qu’il n’a pas le profil d’un bon musicien. Et pourtant, une caméra portée, décidément obsédée par ce seul et unique Tom, le suit partout dans son obstination musicale que rien ne semble pouvoir entraver.
Le réseau d’oppositions prend de l’ampleur dans le récit lorsque les exigences professionnelles d’un agent immobilier véreux viennent se heurter aux demandes qui accompagnent la vie d’un jeune artiste ambitieux. Les collisions s’enchaînent alors entre les embrouilles frauduleuses et la nécessité de repos, entre l’assurance du jeune homme narquois et les prises de conscience du musicien incompétent, entre la paisibilité de la musique classique et le plus synthétique de la musique contemporaine, entre l’ocre chaleureux du conservatoire et le gris sale des bâtiments insalubres, entre le rouge du sang sur la chemise et le rouge du velours dans la salle de concert… Le tout dans une tension constante, jamais relâchée par un Romain Duris qui incarne son personnage comme si sa vie en dépendait.
Un film tout en musique, mais pas celle qui fait du bien. C’est une musique qui agite, qui met son auditeur sous tension. Un film aussi qui montre des relations humaines. Mais ce ne sont pas des liaisons qui font rêver ou qui font aimer. Ce sont des rapports désordonnés, qui se déroulent dans une ardeur brutale et qui s’achèvent en laissant des êtres heurtés, tourmentés. C’est un film tout en beauté, mais il ne s’agit pas de la beauté au sens commun. C’est une beauté violente, paradoxale, qu’on a finalement du mal à comprendre ; mais pas à apprécier.
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