Avec plaisir,
Avec plaisir, François , le nouveau livre d’Ariane Le Fort, lauréate du prix Rossel en 2003 pour Beau-fils , s’inscrit dans la continuité d’une oeuvre singulière et originale. Elle confirme une fois encore sa place parmi les plumes féminines les plus surprenantes du panorama littéraire francophone contemporain.
Récemment paru au Seuil, le dernier roman d’Ariane Le Fort, Avec plaisir, François , met en scène quatre personnages, deux couples que tout relie et que pourtant tout oppose. Il y a Marie, la narratrice, professeure d’histoire de l’art à Bruxelles ; François, son père, un octogénaire qui fait un coming out tardif ; Milo, mécanicien pour une ONG au Nicaragua ; Thomas, un ancien élève de François. Marie est amoureuse de Milo, une relation à distance, compliquée par la présence de Nadia et de Luis, son ex-femme et son fils. François, quant à lui, a annoncé son amour pour Thomas, de seize ans son cadet.
Le récit commence par une fête organisée pour l’anniversaire de François : Il avait quatre-vingts ans et tous étaient là pour lui. Une cinquantaine de personnes, au bas mot, se pressaient sur cette terrasse. Pas tellement de vieux, curieusement ; beaucoup d’enfants, des jeunes cousins tout de suite collés ensemble même s’ils se connaissaient à peine. Marie, occupée à envoyer des sms passionnés à Milo, à l’autre bout du monde, s’étonne de la présence d’un petit groupe d’hommes. Ils étaient isolés du reste du monde, qu’ils ne semblaient pas connaître. Elle apprendra plus tard par son père l’identité de ces personnes, bien qu’on devine déjà la présence de Thomas dans le groupe. L’histoire s’enchaîne ensuite, entremêlée de différents flash-back, comme souvent chez la romancière. On assiste alors à la rencontre de l’héroïne avec Milo, le départ pour la Suisse, l’arrivée en Belgique, les retrouvailles de Milo et Marie, leurs premiers moments de couple, la famille, les amis. L’intrigue devient, au fil des pages, de plus en plus dense, pour se terminer par un étonnant renversement de situation.
L’intérêt du texte est multiple, à commencer par les personnages. Dans chaque roman, Ariane Le Fort nous propose une nouvelle galerie de portraits, toujours aussi attachants, toujours aussi intéressants. Une première lecture pourrait pourtant donner le sentiment que le héros, chez l’auteure, n’a rien de particulier. Marie a une vie profondément banale. Elle travaille dans une école, loue un appartement, côtoie ses amis et conduit une voiture dont un essuie-glace fonctionne mal.
Cependant, le lecteur est titillé et, au fur et à mesure, séduit par cette jeune femme avec ses amours et ses problèmes. Il y a, au-delà des apparences, une véritable profondeur dans la peinture des personnages. Et quelques particularités stylistiques, propres à la romancière, y contribuent, comme ces prénoms — jamais des noms : Marie, François, Charles. Un certain sentiment d’universalité gagne ainsi le récit. Mais ne limitons pas l’originalité du roman à cette seule singularité. L’imagination d’Ariane Le Fort est riche. Riche d’inventer une intrigue qui cache, derrière une apparente légèreté, une réflexion intéressante. En effet, depuis Comment font les autres ?, Ariane Le Fort excelle dans la description des relations humaines, fussent-elles compliquées. Le désir, l’amour, la haine, la sensualité sont autant de sentiments qui bouleversent la vie de ses personnages et produisent des péripéties multiples. L’intelligence de la romancière — et de là son talent — est de faire de ces sentiments une histoire dotée d’une dimension psychologique, quoique pas dépourvue d’humour. Ce qui lui importe, nous semble-t-il, n’est pas tant de montrer les émotions complexes entre une professeure d’histoire de l’art et un mécanicien mais de créer une véritable réflexion psychologique, comme pouvait le faire, dans une autre mesure, un Stefan Zweig. C’est aussi ce qui différencie Ariane Le Fort des autres écrivains contemporains : savoir jouer, jongler avec les genres littéraires.
Enfin, on ne peut pas conclure sans aborder, même en quelques lignes, l’écriture sans fausses notes, totalement maîtrisée. Très « française », en somme.
En traversant le petit jardin devant la maison, il a posé sa main sur mon épaule. Pour trouver un appui, peut-être aussi pour me manifester son affection. Il a exercé une légère pression de ses doigts silencieux et cette minuscule étreinte m’en a rappelé une autre, je nous ai soudain revus tous les deux dans le grand hall du palais des Beaux-Arts, à la sortie d’un concert de Radu Lupu, un ou deux ans plus tôt.
La lecture de cet extrait le prouve, comme celle de ces quelque 220 pages : Ariane Le Fort est une écrivaine qui aime la syntaxe, les mots, tant ceux des dialogues que ceux de la narration. Ce goût pour la phrase bien construite, pour le mot bien placé, se retrouve d’ailleurs dans les choix, souvent très justes, de ses titres. Depuis son premier roman Comment font les autres ?, elle choisit une expression directement tirée de son ouvrage ( Avec plaisir, François apparaît ainsi en page 124) et qui, même sortie de son contexte, donne tout son sens à l’ouvrage. C’est cela aussi qui fait des livres d’Ariane Le Fort des textes profondément originaux.
Paru en mai dernier,
Avec plaisir, François
, est donc un roman attendu, car, osons le dire, ils ne sont pas si nombreux les écrivains belges francophones à être publiés dans l’Hexagone. Ariane Le Fort fait partie de ces privilégiés comme le sont aussi, dans un tout autre style, Serge Delaive, Patrick Declercq ou Jean-Luc Outers, qui poussent régulièrement les portes ô combien sacrées de l’édition littéraire parisienne. Et la romancière le fait avec d’autant plus d’aplomb qu’elle ne nie pas pour autant ses racines belges. Il est en effet amusant de remarquer, au passage, que le cadre de ses textes n’est autre que la capitale belge :
Il n’avait quitté Bruxelles que quelques jours, mais le boulevard Léopold II semblait lui faire le même effet que s’il avait débarqué après un long voyage
.
Avec plaisir, François
confirme le statut d’Ariane Le Fort : une écrivaine régulière, efficace, qui a su, en l’espace de cinq titres, s’installer durablement dans le paysage francophone belge. Sans être pour autant un bouleversement éditorial, ce nouvel ouvrage délasse, tant par son contenu que par sa qualité d’écriture. On se permettra, pour terminer, d’exprimer une légère réticence concernant le choix de la couverture. Sans dénigrer, loin de là, l’excellent travail de Floc’h, l’illustration n’embellit guère l’ouvrage et peut, a contrario, le desservir en orientant trop directement le récit vers le roman sentimental. On préférait sans conteste les maquettes d’
On ne va pas se quitter comme ça ?
ou
Beau-fils
. Mais cela n’empêche pas
Avec plaisir, François
d’être un roman réussi et Ariane Le Fort une brillante romancière !
Cet article est précédemment paru dans la revue Indications n o 381.