Atlas du métissage
Avec la Carte des Mendelssohn , Diane Meur livre un roman-fleuve, fractal et tentaculaire sur le destin et la filiation, comme un résumé de l’histoire humaine.
On a parfois de drôles de marottes. Qui n’a pas eu dans sa vie un « dada », un sujet, un objet qui l’a investi d’un certain niveau de mononaniaquerie ?
Dans la Carte des Mendelssohn , l’auteur et traductrice belge Diane Meur invite le lecteur à la suivre dans les méandres de son obsession croissante et sincèrement irrationnelle. Le sujet de départ ? Un homme, inconnu de presque tous, et décédé depuis longtemps de surcroît. Abraham Mendelssohn, banquier de son état (nous sommes à la charnière des XVIII e et XIX e siècles), n’a rien fait d’exceptionnel dans sa vie, hormis le fait d’être le fils de Moses Mendelssohn, aussi surnommé le Socrate allemand, et d’être le père de Félix Mendelssohn, compositeur de génie, plus précoce que Mozart. Pourtant… pourtant… Diane Meur, à partir de ce personnage faussement insignifiant, a consacré deux années à l’étude de la famille Mendelssohn, en amont et en aval d’Abraham, le point de repère, le port d’attache de ce périple au très long cours, aussi bien dans le temps que dans l’espace.
Prise de passion pour cette famille, l’auteur s’est lancée dans une enquête approfondie sur sa généalogie. La Carte des Mendelssohn constitue en réalité un journal de bord, voire un journal intime. Loin d’être un roman historique ou une biographie, encore moins une saga familiale dans le sens classique du terme, ce texte se présente comme tout cela à la fois, et plus encore. Un roman rêvé, un essai historique, un polar philosophique… À travers l’histoire des membres de cette famille Mendelssohn, Diane Meur dresse devant nos yeux une carte universelle de la vie, de l’héritage, des métissages. Ils sont des centaines de Mendelssohn (sous ce nom ou sous un autre) à s’être dispersés aux quatre coins du monde. Juifs, protestants, luthériens, catholiques, en Allemagne, en Italie, en France, aux États-Unis… Intellectuels, musiciens, peintres, banquiers, ingénieurs, sérieux ou volages… L’écrivaine les a poursuivis de ses assiduités, de manière tâtonnante le plus souvent. Elle-même est présente dans chaque page, interprétant un personnage à part entière de cette aventure qu’elle nous décrit dans ses moindres détails.
Elle s’infiltre parmi les membres innombrables de cette famille-rhizome et brouille volontiers les frontières spatio-temporelles pour confronter naturellement un arrière-arrière-arrière-petit-fils avec son aïeul. On est à ses côtés pendant tout un chapitre quand elle construit de ses mains dans son salon une carte des Mendelssohn. Une installation qu’elle appelle « le Monstre » et qui effraie aussi bien ses enfants que ses amis. Diane Meur aura certainement frôlé la schizophrénie avec cette lubie quasi paranoïaque. Heureusement, à la lecture, ce n’est certainement pas ce qui ressort. L’auteur manie l’humour et l’érudition à merveille. Malgré les centaines d’occurrences (autrement dit, membres de la famille Mendelssohn) qu’elle nous présente (jamais dans l’ordre, plusieurs fois dans ces contextes totalement différents…), elle parvient en nous tenant continuellement par la main à nous emmener sans nous perdre sur les chemins non balisés de son planisphère mendelssohnien. Un vrai coup de génie, une lecture exaltante portée par les questions de la filiation et de l’héritage, des relations humaines et de la grande histoire du monde.