Jean Rolin part sur les traces de T.E. Lawrence, futur Lawrence d’Arabie. L’occasion surtout pour l’auteur de nous emmener dans son coin de prédilection, le Moyen-Orient contemporain. (Presque) sans politique.
Le pitch officiel évoque un voyage sur les traces de Lawrence d’Arabie, la figure historique, mi-agent secret, mi-historien. Jean Rolin commence par un constat très simple : Lawrence et lui ont vécu, à quelques décennies d’intervalles, dans le même village français de Dinard. Jean Rolin y voit un indice programmatique. Il va dès lors tenter de retrouver les origines de ce Lawrence en dehors de toute légende. Qui était ce jeune homme, étudiant en histoire qui a parcouru la France en vélo pour observer les châteaux des Croisés, l’objet de sa thèse ? Comment a-t-il atteint le fameux Crac, l’immense château syrien qu’il décrit comme le plus beau qu’il ait jamais vu ?
Très vite le récit s’éloigne de la biographie ou du récit initiatique, comme on aurait pu l’attendre. Les raisons sont simples : Jean Rolin aime le documentaire et, surtout, cette première partie de la vie de Lawrence d’Arabie n’a rien de bien fou. Crac devient alors une invitation au voyage et une pérégrination à la croisée de trois pays : le Liban, la Jordanie et la Syrie. Jean Rolin a traversé des endroits en guerre, en ruines. L’écrivain est avant tout journaliste, et pas n’importe lequel : il signe des articles pour Libération , le Monde ou encore le magazine Géo . Son livre-reportage la Ligne de front (une pérégrination à travers l’Afrique) lui a valu la belle performance de recevoir le prix Albert Londres pour le journalisme et le prix Valery Larbaud pour sa dimension littéraire. Il a emmené ses carnets dans les endroits les plus instables et les carrés de sol parmi les plus disputés du monde actuel. Pourtant, ici, au cœur du Proche-Orient, il ne va pas céder à l’exaltation de son courage ou aux sirènes du récit de guerre. Jean Rolin va préférer une approche purement pratique du voyage, nous faisant évoluer dans des régions vues et revues dans les journaux, sans toutefois tomber dans le piège de l’analyse politique.
Le bruit de la rupture
Crac sonne aussi comme l’onomatopée qui évoque la rupture. Une zone déchirée par des années de guerre et de tensions politiques, où les hommes se côtoient, se touchent pour se tuer dans des bâtiments en ruine. En opposition, l’auteur-narrateur va traverser d’immenses espaces désertiques, visiter des châteaux millénaires, usés mais toujours debout.
Pourtant certains éléments vont se retrouver, fantômes d’un conflit évoqué plus que rencontré. Jean Rolin va découvrir une chaussure d’enfant dans ce fameux Crac, « comme si certains avaient pris part à cette occupation, et soutenu le siège, en famille ». Mais le ton n’est jamais larmoyant. Il évoque une hypothèse scientifique, s’apparentant davantage à une tentative rationnelle d’explication pour tenter de comprendre comment une chaussure d’enfant peut se retrouver dans un tel lieu, davantage que l’évocation romantique d’un siège. Ce même siège aurait laissé des traces des plus banales, un lit. Le doute se manifeste, une remise en question perpétuelle de ce qu’on lui raconte (faut-il y voir une dérive professionnelle du journaliste ?) qui impose le conditionnel :
De retour sur la terrasse qui surplombe la cour intérieur, la directrice me désigne une pièce vaste et obscure, au sol inégal, comme celle où se serait établi le chef des rebelles pendant la durée de leur occupation, et où il aurait installé au lit « king size » − elle assure l’avoir vu, elle qui a été la première à pénétrer dans le château après les militaires −, qu’elle appelle aussi un lit « américain », si peu compatible que soit l’atmosphère de cette pièce, sépulcrale, avec toute idée de luxe ou même de confort (mais il est de fait qu’en y tâtonnant, dans l’obscurité, je mettrai la main sur un petit objet qui à la lumière du jour s’avérera être un brosse à dents). (p. 90-91.)
On le comprend à travers cette pérégrination aux pays des frontières désertiques et floues : pas de place pour le romantisme, pas de place pour les lieux fantasmés. Le style Rolin se reconnaît, agace parfois par sa longueur. Où veut-il en venir ? Justement, peu à peu naît le sentiment du temps long, celui de son reportage qui va creuser la réalité et ose gaspiller les heures et les kilomètres. Les nombreuses subordinations évoquent tantôt Proust, tantôt la complexité d’une réalité aux nombreuses concessions, à la causalité difficilement explicable.
Ce qui intéresse initialement Jean Rolin, c’est la thèse de doctorat du futur Lawrence d’Arabie. Un style austère, scientifique, bien loin de la mystique que l’on soupçonne un rien mythomane des Piliers de la sagesse .