Car il en va des bons mots de WSB comme des bons mots d’autres auteurs : à force de les faire circuler, ils fonctionnent comme des chromos. Des « icônes verbales ». Des « slogans ». Il y aurait lieu de s’interroger, bien sûr, sur le « devenir slogan » des bons mots de WSB. De relever leur nature paradoxale : toute l’entreprise verbale de WSB — du moins à partir du Festin nu — peut être lue comme un immense « chantier », comme une immense lutte contre les langues, leurs manières bien à elles, parfois si discrètes, de nous asservir, de nous « conditionner ». De penser et de parler à notre place, en quelque sorte.

Un exemple ? D’accord.

Prenons un bon mot de WSB. Une phrase répétée à l’envi sur les sites et les revues consacrés à l’auteur : « Language is a virus. » Phrase pas complète d’ailleurs, mais peu importe. L’exactitude compte moins ici que les dérives, les rêveries suscitées par les livres et les enjeux périphériques de l’œuvre de Burroughs.

Bref : « Language is a virus. »

« Language is a virus » ferait — et fait — un splendide slogan. On imaginerait bien cette phrase taguée à l’infini sur les murs de nos villes. Imprimée dans des typos hyper-folles sur de superbes t-shirts. « Language is a virus » ferait même un excellent nom pour un site internet. C’est d’ailleurs le cas. « Language is a virus » est un site consacré à des « outils d’écriture », des « consignes » directement inspirées des techniques mises au point par WSB, ou se situant plus ou moins dans leurs parages immédiats.

Comme slogan, « Language is a virus » est efficace. Cette phrase cristallise parfaitement une pensée, en est comme la porte d’entrée. Elle est comme une promesse. Une invitation à franchir le seuil. À découvrir une façon singulière de concevoir et de percevoir la langue, qu’elle soit écrite, dessinée ou parlée.

A contrario, comme tout slogan, « Language is a virus » est aussi une clôture. Une phrase-choc. Définitive. Une phrase « prêt-à-penser » qui enferme. Il suffit de la répéter pour se parer de son aura. De sa charge « subversive ». De sa « provocation » décalée. Furieuse tendance, dès lors, comme tout « bon mot », comme toute « icône », à cacher l’œuvre. À la faire disparaître. À nous dispenser d’aller la voir, d’aller la lire. De découvrir des textes dont ce slogan pourrait être une des clés. Une des manières d’entrer dans l’œuvre.

Reprendre cette phrase, en briser la coquille, essayer de comprendre de quoi elle est peut-être le sésame.