critique &
création culturelle
LANGUAGE IS A VIRUS
Feuilleton Burroughs (4) Où l’on glisse doucement vers le cut-up

Du milieu des années 50 au milieu des années 60, avec la complicité de Brion Gysin, WSB se forge des armes. Des outils d’écriture expérimentaux. Les plus célèbres sont le cut-up et le fold-in . D’autres – la permutation, l’épissage, etc. –, s’ils sont moins cités par les fans, servent pourtant tout aussi bien son intention : renverser le Verbe, lui faire perdre son hégémonie.

© Huck Magazine

Trois citations en guise d’apéritif. Trois extraits d’ Oeuvre Croisée , le livre « théorique » que WSB et Gysin ont consacré à leur décennie de recherches. Les deux premières citations sont de BG, la troisième de WSB – :

Si, en effet : Au commencement était le Verbe, la prochaine étape est donc : Effacez le Verbe.

Les poètes sont supposés libérer les mots – non pas les enchaîner dans des phrases. Qui a dit aux poètes qu’ils étaient supposés penser ? Les poètes sont faits pour chanter et pour faire chanter les mots.

Découper et réarranger une page de mots écrits introduit une nouvelle dimension dans l’écriture permettant à l’écrivain de placer les images dans une suite de variations cinématiques.

Deux citations fonctionnant à nouveau comme des phrases-chocs. Des slogans. Une troisième, plus pratique, indiquant les effets obtenus si l’on se met à user du fold-in, du cut-up et autres outils d’écriture.

Ces trois citations circonscrivent parfaitement le champ d’action des comparses. Il s’agit de s’attaquer de front au langage. Faire table rase. Il s’agit, grammaticalement parlant, de se débarrasser du virus de la langue écrite, d’évacuer les phrases, au profit des mots. Il s’agit en effet de libérer les mots. D’arrêter de penser tout fait. De ne plus enchaîner les raisonnements prémâchés. De rendre à nouveau possible les chants.

Paradoxe : cette libération, cette évacuation du Verbe, a lieu dans un travail portant sur la langue écrite. Travail de métamorphoses, de découpages, de reprises, de textes préexistants. Issus du patrimoine littéraire – poèmes de Shakespeare ou de Rimbaud, par exemple –. De lettres, de notes et brouillons divers de WSB. De centaines de « routines », ces scènes que B n’arrêtera jamais d’écrire, qui n’avaient pu trouver leur place dans les livres précédents sa « trilogie expérimentale ». Paradoxe, donc – du moins en apparence – : effacer le Verbe, le virus de la langue écrite, revient à brasser des écrits . À en briser la logique propre. À les remonter sous forme de textes. De mots. De phrases écrites.

Remarque : Il faudrait passer en revue toutes les techniques d’écriture mises au point par B. Voir comment chacune permet ou non de fuir . D’échapper aux multiples systèmes de contrôle. De libérer des chants et des champs . D’ouvrir de nouveaux espaces.

Dans le cadre de notre feuilleton, limitons-nous au cut-up toutefois. La technique « chromo ». La technique la plus emblématique de WSB.

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