C’est à la première personne que Laurence Skivée nous emmène dans un fragment de sa vie. Le Laveur de vitres est un récit intime ponctué d’anecdotes. On l’accompagne sur son chemin de deuil où l’écriture devient indispensable.
Artiste et auteure originaire de Liège, Laurence Skivée présente ici son troisième livre aux éditions La Lettre volée . Le Laveur de vitres est un ouvrage à lire d’une traite et à plusieurs reprises pour en saisir pleinement le sens et les subtilités. L’écrivaine y propose une poésie singulière, au service de ses émotions. On pourrait croire à un carnet de notes trouvé dans la rue et dont nos yeux ne peuvent s’empêcher de lire quelques lignes. Elle nous laisse pénétrer dans ses réflexions, ses vulnérabilités et ses incertitudes les plus profondes.
Son récit adopte une narration simple et classique au début, mais c’est à nous d’en recoller les morceaux, car l’histoire s’effrite au fil des pages. Évoquant d’abord son enfance pour poser le contexte, elle en vient finalement au cœur du sujet : le laveur de vitres. Ce personnage simple et inattendu se révèle la clé du chemin de deuil de l’artiste, qui a perdu son père et sa sœur. Nous restons alors spectateurs de ses différentes phases de déni, de colère, d’indifférence, de tristesse puis finalement d’acceptation, dans lesquelles le laveur de vitres va et vient. Le fond et la forme de l’ouvrage témoignent tous deux de ces étapes stratifiées. En effet, Le Laveur de vitres a la particularité de ne présenter qu’un seul paragraphe par page, laissant le blanc du papier nous envahir entre chaque intervention écrite. Cette mise en page induit la forme du journal de bord dans lequel l'auteure aurait griffonné chaque jour ses principales préoccupations. Au fil de la lecture, on perçoit clairement les différentes étapes : le texte devient de plus en plus confus et abstrait, frôlant parfois l’absurde, pour se résoudre et se clarifier à la fin. On croit d’abord à un récit partiellement ancré dans la réalité, mais elle se tord, se déforme et sonne finalement comme un rêve. Cette dimension onirique se révèle dans la syntaxe des phrases hors des normes, l’utilisation d’un vocabulaire sensoriel et la récurrence d’éléments symboliques comme le chiffon, l’oiseau, les nuages, la terre, le soleil ou le ciel. Ces drôles de personnages reviennent sans cesse, comme une incantation chamanique. Laurence Skivée l’évoque elle-même, elle se sert de l’écriture comme thérapie. C’est un moyen pour elle de se vider :
« J’écris comme si je résistais. [...] L’écriture me protège. [...] Quand j’ai fini, les mots me quittent. Ils vont vivre avec un autre. »
Cette introspection n’empêche pas l’implication du lecteur. Ces fameux vides entre chaque paragraphe laissent toute la place à nos propres sentiments. En se perdant dans les pages, on se perd dans nos pensées, et les mots nous y portent. Les phrases courtes, incisives et la ponctuation très présente accompagnent graduellement cette escapade. Le texte devient cathartique pour nous aussi. Certaines formules, utilisant des mots pourtant simples, sont isolées et répétées pour devenir choc et résonner en nous :
« On lave pour effacer quoi ? »
« Je m’accroche aux nuages. »
« Plus rien de lui n’est là que cette absence flottante. »
« J’apprends. Tout ce qui ne s’apprend pas : la solitude, l’indifférence, la patience, le silence. »
L’auteure leur apporte ainsi du volume, de l’ampleur et une portée mystique. Son texte regorge d’ailleurs de figures de style. Allégories, asyndètes, antithèses, oxymores, anaphores, épiphores ou encore comparaisons enrichissent ses écrits avec des formules comme « Nos yeux fondent », « Je hurle sa jeunesse. », « Avec le temps, une sérénité sans lassitude s’inscrit au coin de nos lèvres. » ou « Chaque journée est faite de silences et de bruits, de lumières et de noirs » Elle sait manier la langue et ses effets.
De plus, l’auteure nous confronte parfois à des choix visuels singuliers. Le sens de lecture n’est pas toujours évident et peut être déstabilisant. Une mise en page ambiguë nous amène à croiser des phrases dans tous les sens, y trouvant alors une signification nouvelle. Laurence Skivée s’amuse même à répéter des mots sur l’entièreté d’une page afin de créer un motif, complété par un jeu de mots. Elle fait jouer notre regard pour nous emmener plus loin que la simple lecture des mots dans leur sens premier. Laurence Skivée s’amuse, mais elle pourrait le faire encore davantage. Insister sur ce jeu graphique et l’exploiter pourrait donner une autre saveur et une autre dimension à ses propos.
Le Laveur de vitres est une tranche de vie racontée dans un langage brut et primitif, une période de deuil condensée en quelques centaines de phrases. La prouesse est belle, mais il faut rester accroché à un univers insolite parfois déconcertant. Cet ouvrage hors des normes propose néanmoins une respiration. Chaque mot est pesé, devenant symbole. Nous entrons dans la tête de Laurence Skivée, et nous sommes heureux d’assister à sa guérison.
« Le jour se lève. »