critique &
création culturelle
L’Été Fantôme d’Elizabeth Holleville
Should I stay or should I go ?

À peine commencé qu’il est déjà fini : comme un été, le roman graphique d’Elizabeth Holleville, L’Été Fantôme , coloré et mystérieux, retrace le souvenir de l’enfance qui s’en va.

Ça se passe comme les vacances d’un peu tout le monde : une maison familiale dans le Var, des lits superposés, des après-midi à frire sur une plage bondée. Ça sent la lavande, la crème solaire, la lessive et les olives (oui oui, toutes ces odeurs sortant d’un livre !)

L’héroïne s’appelle Louison, une douzaine d’années, dessinée grossièrement mais avec justesse – visage poupon, corps en pleine croissance, gauche mais gracile. Poussée malgré elle vers l’adolescence, elle est ballottée entre ses trois grandes cousines, dont les histoires de coeur et les mensonges l’agacent. On assiste à des scènes de plage, territoire du corps et de la séduction, où les châteaux de sable n’ont plus vraiment leur place face aux parades amoureuses. Et pour refermer encore plus l’étau, Louison sent une présence la hanter…

Téméraire, Louison provoque la rencontre avec son fantôme aux mains toutes chaudes : Lise, sa grand-tante, figée dans l’enfance depuis sa mort dans les années 40. D’abord sur ses gardes, la jeune fille prend petit à petit goût aux jeux simples avec sa nouvelle amie, qu’elle retrouve chaque jour derrière les buissons. Alternant bêtises de gosses et surnaturel, Lise et Louison ne voient pas le temps passer. Pourtant, l’été touche bientôt à sa fin, et un dilemme se rapproche : partir, ou rester pour toujours ?

Ce qu’il y a de fabuleux dans cette BD, c’est cette thématique du souvenir, de l’héritage entre générations – quoi de mieux pour une grand-mère que d’offrir à sa petite fille les mêmes instants de jeu qu’elle-même avait connu 70 ans auparavant ? Impossible également d’ignorer cette représentation honnête de la féminité à toutes ses étapes, et des peurs qui l’accompagnent. Perdre son corps d’enfant, sa beauté, sa mémoire ou sa soeur, voilà les drames qui teintent cette histoire, non sans une bonne dose de compassion et d’humour.

Visuellement parlant, L’Été Fantôme marque aussi les esprits (vivants ou non). On remarque un attrait de l’autrice pour les motifs ondulés et les tons vifs, très estivaux. Comme je l’ai dit plus haut, il y a quelque chose de grossier, parfois, ou plutôt de simpliste dans la représentation des visages et même des décors, avec ces traits épais et ces aplats de couleurs chaudes, comme des dessins d’enfants revisités. Des silhouettes qui, aux moments propices, passent de maladroites à inquiétantes.

Comme pour un film, la BD nous transporte et englobe différents angles de vue : caméra subjective, gros plans, scènes silencieuses et ambiantes…  Si bien que je m’y suis crue, moi, dans cette maison du Sud avec Lise et Louison, et qu’il me semble avoir entendu, dans les tréfonds de mon imagination, le doux son des cigales.

En bref, ce qu’il nous reste de cette lecture, une fois l’ouvrage refermé, c’est la simplicité avec laquelle tout a été dépeint. Entre une dispute familiale et une apparition spectrale, rien ne détonne. C’est sans doute parce que quelque part au fond de nous réside la dernière parcelle d’enfance qui peut tout rendre réel.

Même rédacteur·ice :

L’Été Fantôme

De Elizabeth Holleville
Glénat, 2018
256 pages