Plongée au cœur de l’Intime Festival qui s’est tenu durant le dernier week-end d’août. Retour sur trois journées pas comme les autres où les auteurs, leurs interprètes et le public partagent leur passion en toute simplicité.
Avec curiosité et intérêt, souhaits innombrables et innommables, quatre mille véritables amoureux de littérature1 ont littéralement envahi le Théâtre de Namur, qui fut rarement aussi royal. Un écrin somptueux devenu, le temps d’un long week-end, un lieu de rencontres, de découvertes et de littérature. En effet, le programme avait de quoi en exciter plus d’un. Tout était mis en place par Ben et son équipe pour que les goûts de chacun soient satisfaits, premier élément « intime » de ce festival ainsi promu. Une volonté sans doute sans grande prise de risques, mais vite pardonnée quand on sait que ledit festival n’en est qu’à son deuxième beau chapitre.

Le canevas n’est pas plus compliqué que celui d’un vaudeville : un auteur, un livre et un acteur. Laissez-vous bercer, on s’occupe de tout ! Dumas, Gary, Moix, Lonsdale, Baer. Quelques noms jetés au hasard, parmi d’autres, et vous réalisez déjà la monstrueuse erreur que vous avez commise quand, pris d’une violente et insoupçonnée flemme, vous restâtes alités une heure ou deux, ou même trois de trop, ces vendredi, samedi et dimanche 29, 30 et 31 août. Allons, fermez donc votre béate cavité et prenez déjà note de la prochaine édition, le chapitre troisième, dans vos juliens calendriers. Elle aura en effet bien lieu, vu le succès grandissant dû à une programmation audacieuse, tantôt pointue, tantôt légère, chère à son illustre fondateur2 et à ces lecteurs de choix, le mot est faible.
Après une prestation sans faute de Dominique Blanc en soirée d’ouverture, Black Tie, et un étonnant succès, par son ampleur, de l’auteur Annie Ernaux3, le samedi promettait d’être dans la droite lignée de sa veille.
Un vieillard cacochyme avance pas à pas sur la scène jusqu’à une unique table qui meuble sobrement la grande salle du Théâtre de Namur. Après nous avoir gratifiés de son plaisir d’être au plat pays pour nous livrer des extraits brillamment choisis d’un livre qu’il avoue admirer, il s’installe et commence sa lecture d’Albert Cohen. Michael Lonsdale, monstre sacré du cinéma, est bien là, dans cette petite cité anonyme. Il laisse beaucoup d’énergie dans cette prestation, ce qui n’est pas pour déplaire au public namurois, mais qui va décevoir les amateurs de philosophie du Tournaisis qui l’attendaient de pied ferme quelques heures plus tard. En effet, le pauvre ne se présenta pas à sa conférence de l’après-midi dans une forme olympique. Rien à redire en revanche sur celle du matin qui nous fut très profitable, soyons un peu égoïstes. Il quitte ensuite la scène comme il est venu, traînant la patte, mais nous laissant, nous, comme transformés.
Nous enchaînons alors sur une lecture estudiantine de Roland Barthes, oubliant Bruce Marchart dans la grande salle. Oui, vous n’êtes pas les seuls à avoir fait une erreur ce week-end. C’est au foyer que nous nous rendîmes compte de notre fredaine tant les éloges du Texan et de David Murgia, son lecteur belge, couvraient les murs.
Mais cette lecture de Fragments d’un discours amoureux fut surtout le théâtre d’une terrible désillusion. La séance à peine finie, une dame peu compréhensive surgit devant les artistes pour nous annoncer la nouvelle à laquelle nous n’imaginions même pas faire face. Le drame se produit devant nos yeux figés. « L’entretien avec Yann Moix est annulé. » Le déni dans le regard, une larme coule… Pourquoi ? Six mois de préparation au préalable à lire Naissance, prix Renaudot 2013. Il faut dire que ses 1 143 pages sont bien plus que de vagues distractions de bord de piscine. Bref, c’est la catastrophe. Nous quittons les lieux pour prendre un peu de recul. Benoît boit bien un pot à une terrasse, mais impossible de l’approcher pour demander plus d’informations sur l’absence de l’écrivain — alors tombé dans notre estime au rang de pauvre écrivaillon, et encore. Nous imitons donc l’organisateur de l’événement et allons nous rincer le gosier afin de revenir d’attaque.
Une petite heure plus tard, nous nous présentons devant Frédéric Taddeï. La situation poliment présentée, vient la question qui nous taraude. Pourquoi ? Il nous répond, d’un rire gras, que ledit Yann est coincé à l’aéroport de Pyongyang. Nous connaissons bien la réputation de l’Orléanais mais la réponse ne nous convainc pas pour autant, Fred non plus. Il nous quitte pour Hedwidge Jeanmart et nous continuons à ruminer.4 La journée se termine par un fantastique Édouard Baer, mais un goût amer nous reste dans la bouche. Vaille que vaille, il faut être en forme pour le lendemain, car le programme nous promet d’autres excellents moments de partage et d’intimité.
Et ces promesses, je vous l’annonce d’emblée — pas de suspense inutile —, ont été tenues. Mais nous retiendrons deux grands moments marquants de ce jour pluvieux. Un peu avant midi, Michel Vuillermoz entre en scène, armé d’un Romain Gary qui lui colle à la peau, et sans sa célèbre moustache. Rarement vu à la télévision ou au cinéma, ce changement est bouleversant. Est-ce bien lui ? Il ne faut pas attendre deux minutes pour réaliser qu’il n’y a pas d’usurpation d’identité, le second Orléanais prévu du week-end est lui bien présent. Et il a du métier, c’est indéniable. En trois lignes, la salle est sous le charme, il est tout simplement à la hauteur des deux Goncourt de Gary, génial.
Vient ensuite, sur le coup de quinze heures, le grand méchant loup, Pierre Jourde, venu nous parler de ses deux livres polémiques. Connu pour ne pas mâcher ses mots (redoutablement choisis), il nous présente deux bouquins marquants dans lesquels il se livre. Il raconte simplement son histoire, son enfance dans un minuscule hameau du Cantal, rustre mais aussi riche, dans son livre Pays perdu, et le séisme qu’a provoqué celui-ci. D’abord dans ce petit village, puis dans la France entière. C’est le second opus, la Première Pierre. Une histoire terrible et d’une rare violence dont l’auteur a, malgré son imposante carrure, beaucoup souffert. Entremêlés de lectures habitées de Philippe Résimont, il nous livre son cheminement et ce qui a mené à cette terrible cassure entre lui et ses racines rurales. Un moment émouvant et unique, présent en toute simplicité.
Malgré une programmation très subjective dans ses thèmes — ce que certains regretteront et d’autres adoreront — l’Intime Festival est une occasion rare. Une telle proximité avec des auteurs n’est possible que si l’événement est motivé par une telle passion, de la part du public mais aussi des organisateurs et des acteurs de ce week-end.
Un grand coup de chapeau et merci aux Namurois, célèbres ou anonymes, de faire vivre la culture dans cette magnifique cité, cadre de rêve pour de tels spectacles. Bien que certains la déclarent morte, rares sont les endroits où l’on peut vivre de si beaux moments, accompagné de si grands artistes.
Chiffre à revoir peut-être un tantinet à la baisse si l’on compte la présence de quelques inconditionnels de Benoît Poelvoorde qui n’ont pas saisi le but véritable du festival. ↩
Remarqué dans les rue de Namur ou aux terrasses de cafés, lieux où il choisissait de s’accorder un petite pause maltée avec ses amis Laners, Taddeï ou Baer. ↩
Sa séance de dédicaces dépassa de loin la longueur imaginaire de celles de Levy et son frère Musso réunis. ↩
Ce n’est que le lendemain que nous aurons une explication. Moix, très classe, répond vite à notre message tâché de liquide lacrymal, envoyé sur un réseau social : « Désolé, problème logistique avec le billet de train. » Nous ne lui en voulons plus mais la déception ne passe pas pour autant. ↩
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