Ne pas dire de Dominique Loreau, c’est l’histoire de deux amants qui vivent leur passion dans le non-dit des instants éphémères. Quand tout est encore à dire et qu’on est bercé par ces moments fragmentés de plénitude et d’angoisse. Et cette peur de faner cette transe passionnelle ou de se perdre soi-même si jamais les mots étaient prononcés…
Quand un livre vous demande trois lectures pour que vous parveniez à en extraire la substantifique moelle, c’est que quelque chose d’étrange se passe dans la dynamique du récit.
À la première lecture, j’ai été décontenancée par la structure du roman qui fonctionne plus comme une sorte de très long poème. Sauf que ça n’avait ni la force d’un poème ni la structure d’une intrigue de roman. J’ai donc eu du mal à entrer dans l’histoire. À la deuxième lecture, mieux préparée sans doute à cette particularité, j’ai réussi à me focaliser davantage sur l’écriture. Il me semblait alors que l’histoire n’était qu’un contexte servant au lyrisme du texte.
À la troisième lecture, j’ai compris que l’écriture et l’histoire étaient intrinsèquement imbriquées comme une seule et même forme. Cette notion d’instant volé, fragmenté, que vivent les deux amants fait directement écho à une écriture elle-même fragmentée, jalonnée d’images poétiques et sensuelles. L’histoire et l’écriture fonctionnent en fait de la même manière. On a affaire à des instants en suspens, relativement abstraits, vécus par les deux personnages dont on ne sait rien à part qu’ils sont amants. Ça parle d’amour, de sexe, de peur, de passion, de moments de vie presque pris au hasard tout en suivant une certaine intrigue. On est donc face à un récit qui agit par touches et que ne doit sa consistance qu’à cet entrelacement d’écriture et d’histoire qui se font écho.
La nuit les gouttes de pluie rampent sur la vitre. Quelque chose s’achève. Solitude et mélancolie. La semence agonise, l’assurance faiblit, l’euphorie s’épuise. Elle commence à douter.
Elle invoque le croissant de lune qui luit au bord de la fenêtre pour le ramener à elle.
Un matin il s’éveille fébrile, avant l’heure, queue tendue ; il a rêvé d’elle. Se tourne, se retourne, le sommeil le fuit, son nom le possède, son corps l’obsède.
À tout instant elle l’aperçoit dans les traits d’un autre, dans le corps d’un autre, dans les habits d’un autre.
On pourrait alors se poser la question suivante : l’écriture et le récit sont-ils assez forts pour porter une telle dynamique ? Il est important de préciser que le livre ne fait que quarante pages et se lit d’une traite. Pourtant j’ai eu, lors de mes trois lectures, l’impression que c’était trop long. Il y a dans l’écriture comme dans le récit une sorte de redondance qui fait qu’on se lasse. Redondance due principalement à une histoire un peu creuse et une écriture qui a parfois tendance à abuser du registre lyrique. Comme si l’auteure voulait donner plus de force au récit grâce à l’usage de la poésie. Le problème, c’est que ça donne quelque chose d’assez difficile à appréhender sans que ça nous transporte ailleurs. La banalité de l’histoire, couplée à une écriture parfois un peu faible, ne permet pas au récit de s’imager avec assez de conviction.
Il y a néanmoins quelques belles envolées poétiques et une certaine fluidité dans l’écriture qui permet une lecture agréable.
Finalement, que penser de ce livre de Dominique Loreau ? À mi-chemin entre un récit poétique et un roman, Ne pas dire reste à mon sens plutôt à la surface de son propos. La réflexion sous-jacente au récit n’apporte pas grand-chose au thème abordé. Et l’écriture présente quelques faiblesses qui ne permettent pas au mouvement du récit d’avoir une consistance suffisamment forte.
En somme rien de transcendant dans ce livre, si ce n’est quelques touches poétiques plutôt rafraîchissantes posées sur quelques belles images de sensualité.