critique &
création culturelle
Où il est question de Fuku,
de dictature et du Seigneur des Anneaux

En 1996 est paru aux USA un recueil de dix nouvelles signé Junot Diaz et intitulé Drown . Salué de façon pratiquement unanime par la critique pour sa prose inventive – un cocktail efficace d’anglais, d’espagnol, de « langage des rues » et d’argot –, on y lisait le récit sans tabou de la vie pas toujours simple (c’est le moins que l’on puisse écrire) d’émigrants dominicains au pays de l’Oncle Sam.

Quelle importance peuvent bien avoir ces brèves et anonymes vies…
aux yeux de Galactus?
(Fantastic Four)

Le succès du livre a fait pleuvoir sur son auteur, un jeune écrivain de vingt-sept ans originaire de République Dominicaine, une série d’honneurs de toutes sortes : un poste de professeur en création littéraire au MIT, un Guggenheim fellowship , un Pen/Malamud award et j’en passe . Mais, dix ans après cette première réussite, l’imagination de Diaz semblait s’être tarie et, alors qu’il approchait de la barre fatidique des 40 ans, il n’avait toujours pas offert au public le roman tant attendu.

Un an plus tard paraissait La Vie Brève et Merveilleuse d’Oscar Wao

Le roman s’ouvre sur la « confession » de Yunior, un écrivain dominicain vivant aux États-Unis (tiens, tiens) qui se démène depuis des années pour tenter de se faire publier, sans succès. Celui-ci nous raconte que son incapacité à se faire une place dans le milieu des auteurs est due à une malédiction – ou fuku – une malédiction du même genre que celle qui a accablé son ami Oscar, un nerd latino passionné de science-fiction et d’heroic fantasy dont la vie amoureuse est aussi inexistante que la pilosité du lézard.

Diza construit un récit complexe, entrecoupé de nombreux flashbacks, d’histoires parallèles à l’intrigue principale et de notes de bas de page qui englobe pas loin de soixante ans d’histoire dominicaine à travers trois générations : celle d’Oscar, de sa mère – ex bomba latina – et de sa grand-mère, victime et témoin des atrocités de la dictature de Trujilo , également surnommé (je cite) : notre Sauron, notre Arawn, notre Darkseid, notre Dictateur pour Toujours et à Jamais . En cela, la démarche de Diaz n’est pas sans évoquer les Buddenbrooks d’un Thomas Mann ou la plus récente – encore que – Pastorale Américaine du désormais retraité Philip Roth.

Si l’intrigue est foisonnante, embarquant le lecteur dans ses tours et détours, le langage employé est quant à lui des plus direct et savoureusement coloré. La version originale a d’ailleurs été écrite dans un anglais truffé de passages en « Spanglish » , mélange d’anglais et d’espagnol visiblement pratiqué par les Dominicains exilés aux States. À titre d’exemple, le nom du personnage principal, Oscar Wao, est d’ailleurs la transcription malheureuse de la prononciation « spanglaise » d’Oscar Wilde.

Le roman de Junot Diaz est donc un succès à de multiples niveaux. L’auteur a d’ailleurs fait bien plus que nous livrer l’histoire tragi-comique d’Oscar Wao. Il est parvenu à capter l’histoire d’un pays tout entier , d’une famille, de l’expérience souvent difficile de l’immigration des Dominicains et à en faire un récit passionnant, où tantôt on rit à gorge déployée avant de sentir sa gorge se serrer.

Quel dommage que Diaz prenne autant de temps pour écrire un roman… mais au vu de la qualité de celui-ci, on se dit qu’on gagne à être patient.

Même rédacteur·ice :

La Vie Brève et Merveilleuse d’Oscar Wao

Écrit par Junot Diaz
Traduit de l’anglais (E.U.) par Laurence Viallet
Roman
Plon , « Feux croisés », 2009, 312 pages