Tout le monde souhaite aller de l'avant, et Karoo vous propose un retour sur l'année culturelle 2020. 2020, son virus et son confinement, ses restrictions et insécurités. Mettant l'anxiété de côté et explorant les contrées oubliées de l'optimisme, voici non pas un retour en arrière, mais un « retour vers l'avant », une « rétro-prospective » culturelle pour cette fin d'année 2020.

Beaucoup d'activités culturelles se sont abruptement arrêtées cette année. Plus de concerts, plus de théâtres, de musées, ou de cinémas ouverts. Comme dommages collatéraux, des milliers de personnes se sont retrouvées sans emploi, mais aussi privées de leur liberté de s'exprimer à travers leur art, leur passion. Menant une existence bicéphale à la fois de chercheur en littérature et de musicien, ces interdictions furent aussi critiques pour mes projets musicaux qui étaient en plein développement. D'abord des coups durs, puis un tunnel sans fin, cette « paralysie culturelle » s'est ensuite métamorphosée.

Privés de s'exprimer ? Pas vraiment. La crise est survenue à une époque où la culture est omniprésente. Elle l’est sur papier, mais elle l’est surtout sur la toile . Pour la musique, plusieurs concerts en streaming ont été organisés1 . Certes, le contact avec le public ne sera jamais identique, mais ces initiatives ont laissé entrevoir, si pas la lumière à la fin du tunnel, la possibilité d'un tunnel éclairé.

Pour continuer à diffuser la littérature, certaines maisons d'édition ont distribué des ouvrages au format digital gratuitement2 . Véritable acte citoyen, ce « don » culturel revalorise la culture comme bien commun. Si rendre les livres gratuits ne serait pas viable à long terme, il s'agit néanmoins d'une relance culturelle qui, comme les concerts en ligne, a contribué à égayer nos journées confinées.

La crise a aussi contraint les acteurs culturels à réévaluer leurs plans. Dans une culture de l'instantanée et de l'abondance, du « tout maintenant et tout de suite » , j'ai vécu la crise comme une invitation à prendre du recul. Enregistrer et sortir un album, cela prend du temps. Sans concert, j'ai eu davantage de moments de réflexion, de composition et d'écriture. C'était aussi une invitation à explorer, à découvrir de nouvelles choses car, oui, c'est possible, même confiné dans 60 mètres carrés. La crise a été une occasion de mieux préparer la reprise .

Parlons donc de ces découvertes, de quelques-unes de mes pépites de 2020. Parmi mes classiques, 2020 m'a apporté un nouvel album resplendissant de Bruce Springsteen : Letter to You . Débordant d'énergie et d'espoir avec des titres comme « Burnin' Train » et « Ghosts », l'album envisage aussi la nostalgie comme sentiment positif, laissant entendre qu'une expérience difficile aboutit souvent à un meilleur, une source de réconfort non négligeable pendant cette crise sanitaire. Un album solide du Boss , qui annonce le retour du son E Street typique3 et présage une tournée mémorable pour l'ère post-covid.

Cette année a également marqué le retour de Ryan Adams avec l'album Wednesdays . Dans un style d'auteur-compositeur traditionnel magistralement orchestré et interprété, l'artiste redécouvre ces « mercredis », ces moments charnières entre lundis et dimanches qui nous paraissent plutôt banals. Adams, pourtant, les envisage autrement, comme des moments suspendus d’introspection, une transition entre deux époques, entre une veille pas toujours réjouissante et un lendemain plus encourageant.

Du côté des Lettres, mon regard s'est posé (un peu) plus loin dans le temps, encore une fois outre-Atlantique. Par exemple, j'ai (re)lu et (re)découvert ces mémoires4 illustrant des expériences dans ces grands espaces comme One Man's Wilderness (1973) de Sam Keith (basé sur le journal de Richard Proenneke), qui donne une idée de ce à quoi ressemblerait une nouvelle vie dans la forêt en Alaska. Étant confiné dans un petit appartement, cette forme de « littérature d'extérieur »5 m'a donné un bol d'air frais à respirer entre chaque page. A Place on Earth (1966) de Wendell Berry m'a quant à lui restitué un imaginaire réconfortant d'une petite communauté dans le sud des États-Unis, une communauté soudée et résiliente qui tente au mieux qu'elle le peut de surmonter la douleur provoquée par l'absence de certains proches. Eiger Dreams: Ventures Among Men and Mountains (1990) de Jon Krakauer (auteur du célèbre Into the Wild , publié en 1996) relate des histoires d'ascension de montagnes dans différents continents. À condition que ces aventures ne se terminent pas comme le mythe d'Icare, elles invitent aussi à une réflexion différente en suggérant que, si la montée est une épreuve physique éprouvante qui fournit un sentiment d'accomplissement, la descente, véritable source d'humilité, est une épreuve tout aussi importante.

Bien qu'elle ne résolve pas tous les problèmes, la culture aide, panse nos plaies, et embellit nos journées. Par ailleurs, elle se démocratise car elle devient plus facilement accessible, et contourne les géants de l'industrie culturelle dont les noms sont encore trop souvent prononcés6 . Ses trésors d'antan et d'aujourd'hui nous accompagnent encore dans notre marche vers des jours plus beaux, et nourrissent notre réflexion pour un après potentiellement plus responsable. 2020, son confinement et sa crise, son avant et son après, n'auraient pas été et ne sont pas envisageables sans la culture .