critique &
création culturelle
La diva-nu-pieds

Dès la première écoute, la chanson Saudade nous plonge dans la profonde nostalgie des îles du Cap. Mais d’où provient donc ce formidable pouvoir évocateur ? D’un cocktail détonnant entre les sonorités du fado portugais mêlées à la samba brésilienne, mais surtout de la voix envoûtante de Cesária Évora.

Révélée à l’âge de cinquante ans sur la scène internationale, Cesária Évora, qui a trop bien connu l’alcool et la misère, est devenue malgré elle l’ambassadrice de la morna , musique originaire de son pays. Si nous la connaissons aujourd’hui, c’est grâce à José Da Silva, un ancien cheminot français, qui l’a entendue dans une boîte de Lisbonne et en est ressorti bouleversé :

Dans la morna, il faut du vécu pour atteindre un tel niveau d’émotion, très peu d’interprètes en sont capables.

Elle cultive sa voix depuis ses seize ans, quand elle a commencé par chanter dans les bars pour gagner maigrement sa vie, évoquant des thèmes tels que la tristesse, l’amour, la pauvreté, la beauté des îles et de la mer. Ces thèmes ne l’ont jamais quittée, et elle continuera de les chanter sur des sonorités africaines et cubaines tout le long d’une carrière durant laquelle elle sortira quinze albums. Cize (l’un de ses surnoms) s’est fait connaître avec son album Miss Perfumado , sorti en 1992. Café Atlantico sera, quant à lui, le plus vendu de tous, et elle recevra un Grammy Award du meilleur album dans la catégorie world music avec Voz de Amor .

C’est après septante années bien remplies, le 17 décembre 2011, qu’elle s’est éteinte à Mindelo, ville de sa naissance. Épuisée par plusieurs opérations, dont une à cœur ouvert, elle avait tiré sa révérence en septembre de cette même année, exprimant ses regrets de ne pouvoir s’offrir davantage à son public :

Je vais arrêter, un jour, mais pas que ça. En fait, j’arrête tout. Je n’ai pas de force, pas d’énergie. Je veux que vous disiez à mes fans : excusez-moi, mais maintenant, je dois me reposer.

Si vous connaissez déjà ses albums par cœur et que vous êtes déjà en manque de musiques colorées du Cap (ou que simplement, vous êtes une âme Beatchronic parée à toute découverte musicale), j’ai une bonne nouvelle pour vous : elles ne s’en sont pas toutes allées avec Cesária. Ces mélodies-là traversent encore la mer et viennent toujours nous raconter de belles histoires. À condition de bien tendre l’oreille… Parce que là-bas, le ministre de la culture reconnaît être en mal de moyens pour promouvoir ses artistes à l’étranger.

L’héritage

Ze Luis, lui aussi révélé tardivement, a tout récemment sorti son premier album sous le label Lusafrica, créé par José Da Silva : il est décrit par certains comme le Cesária au masculin. Mayra Andrade est une autre artiste capverdienne qui réussit tant bien que mal à s’exporter.

Comment ne pas évoquer Lura, qui enregistra en 1996 son premier album Nha Vida avec ses propres compositions. Tito Paris, lui aussi très populaire, après n’avoir pu développer, pour des raisons de santé, une carrière pourtant bien lancée en 2005, aura la chance de signer avec un label capverdien basé aux USA en 2009.

Il y a aussi Nancy Vieira, qui a sorti son troisième album en 2011, vue comme l’héritière de Cesária, mais qui a l’audace d’explorer des territoires poétiques tels que ceux d’Eugenio Tavares. Il est l’auteur de Na Oh Minino Na , chanté selon la tradition capverdienne sept jours après la naissance d’un enfant et juste avant son baptême.

Évoquons encore deux derniers piliers de cette musique des îles : Bau (Rufino Almeida de son vrai nom), choisi par Pedro Almodóvar pour diriger la bande original de Parle avec elle , ayant aussi pris la tête de la direction orchestrale de Cesária, et Bana , qui fut le mécène de la chanteuse lors de son concert au Portugal, riche d’une carrière longue de cinquante années derrière lui.

En ce début de début du printemps et pour fuir les dernières rigueurs de l’hiver, je vous propose de vous réchauffer en écoutant quelques-uns des morceaux de la diva avec un verre de rhum. Et bien sûr en vous déchaussant, comme elle avait l’habitude de le faire en concert…