critique &
création culturelle
Swans
Écouter et ressentir

Voir Swans en concert est une expérience qui se digère lentement. Il faut laisser aux souvenirs le temps de percoler, de prendre un peu de distance sur la claque infligée par la formation new-yorkaise. Il faut aussi admettre ne pas vouloir s’en remettre.

25 septembre, à l’Ancienne Belgique, premier arrêt d’une tournée européenne . Prévenu par les organisateurs quelques heures auparavant que le concert était avancé d’une demi-heure, j’ai fait une croix sur la première partie (Pharmakon) pour endurer uniquement le mur de décibels auquel je m’étais attendu.

Le groupe, formé en 1982 autour de la personnalité charismatique de Michael Gira – leader sexagénaire tout en Santiags, Stetson et cheveux blancs rejetés en arrière – foule le sol du vieux continent pour défendre son dernier opus : To Be Kind , sorti en mai, troisième album depuis leur reformation en 2010.

Collant à la forme de The Seer , l’album qui le précède de deux ans, To Be Kind est un bijou équivalent : deux heures haletantes, dépeignant un goût fortement prononcé pour une musique à la fois folk et répétitive . L’auditeur retrouve à nouveau des morceaux kilométriques : « Bring the sun / Toussaint l’Ouverture »1 titre à 34 minutes, alors que la plage-titre The Seer pointait à 32.

Pendant le soundcheck , Gira s’affaire sur scène, vérifiant câblages et instruments, sans faire un signe vers le public qui respecte l’instant. On comprend : il faut que le son soit impeccable , il ne faut pas déranger le maître mais l’applaudir quelques minutes plus tard, une fois rentré sur scène dans le cadre de la représentation.

Un concert des Swans est un manifeste, commençant dès que l’hulkesque Thor Harris (peintre et charpentier jouant trombone, violon, gong, percussions, xylophone, cloches, et j’en passe) arrive seul sur scène et commence à jouer du gong. Il le frotte, le maltraite, distord les sons qui en proviennent ; il donne le ton. Il est rejoint par le batteur, jouant uniquement des cymbales pour quelques mesures, suivi par Christoph Hahn ajoutant aux percussions sa lap-steel distordue.

Le temps se dilate et l’auditeur, par accumulation progressive des couches de son, peut commencer à distinguer les sons entre eux, à comprendre cet agencement singulier qui le traverse. En ce sens, l’introduction au concert est édifiante : il permet de se former à l’écoute des Swans, à apprendre à appréhender leur musique bruitiste, chaotique et extrêmement structurée.

Les trois premiers instruments sont rejoints par les trois derniers : une basse et deux guitares, dont celle de Gira lui-même. L’ensemble est hypnotique. Les boucles d’accords changent peu à peu, et l’on peut voir Gira mener la danse, marteler la mesure d’un talon de tiag , bondir et se replier au sol aux changements de rythme, compter la mesure pour ses musiciens, leur signalant les transitions ou leur demandant de repartir pour un tour, s’agiter frénétiquement, bras en l’air, quand il chante « Just a Little Boy », hommage au bluesman Chester Burnett, dit Howlin’ Wolf (loup hurlant).

Dans To Be Kind , l’accent est mis sur une attaque groovy et quelques rythmes blues , en témoigne le dernier titre cité. Le jeu à la basse est harmonieux, accessible aux oreilles les moins averties. L’habitué, lui, est surpris : qu’est-il advenu des Swans mordant, arrachant des frissons dans l’infinie modulation d’un thème démentiel ? Il arrive : l’introduction n’est là que pour piéger le chaland , l’enfermer dans un rythme martial, une ambiance massive, et ne plus le lâcher jusqu’au bout des deux heures – sur disque ou en live.

Leur concert de deux heures et quart aura été l’occasion de jouer six titres, dont trois nouveaux ; seulement six diraient les néophytes. Qu’ils n’aient crainte, l’ennui n’est pas au rendez-vous : le groupe balance des titres féroces, y mélange les accords d’autres morceaux, pousse l’auditeur au bout de son souffle et ne le lâche jamais.

Les Swans prodiguent une musique matérielle : la puissance tellurique de leurs boucles réclament de l’auditeur un investissement physique dans l’écoute. La puissance du son, pendant leurs concerts, y répond : les décibels tapent dur, mais pas trop. Aucun évanouissement ni vomissement n’a été à déplorer, peut-être qu’avec l’âge Michael Gira joue-t-il finalement moins fort qu’avant la dissolution du groupe en 1997.

Même rédacteur·ice :