Les Évènements, mis en scène par Ramin Gray, reprend un acte meurtrier et dramatique, mais surtout une quête sinueuse vers une vérité qui n’existe peut-être pas. 

Claire, pasteure et cheffe d’une chorale, met son corps et son âme au service d’une quête pour comprendre ce qui, d’emblée, semble incompréhensible : un jeune homme armé arrive un jour dans leur groupe et tire sur ceux « qui ne sont pas d’ici ». Il tue vingt-sept personnes. Une scène sobre, composée d’un bac dans le fond, un piano côté cour, une petite table avec un thermos et quelques chaises rangées côté jardin et, tout autour, le squelette du plateau – des projecteurs, des cintres, des poteaux –  normalement caché au public mais mis en évidence ici.

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Cette simplicité, cette mise à nue est, malgré sa fragilité, une des forces principales de ce spectacle. Nous retrouvons deux comédiens sur scène : Romane Bohringer joue Claire, Matthieu Sampeur incarne tous les personnages, visages et voix qui accompagnent cette femme dans son parcours. Face à ce personnage individualisé et concret, et cet autre personnage multiple à mille visages, une chorale vient s’ajouter à l’équation, personnage collectif à une seule voix.

Ainsi, comme un enfant qui monte sur scène pour jouer un rôle dans la pièce de l’école, nous voyons au début un groupe de choristes entrer sur scène, tous avec cette innocence, cette nervosité et cet enthousiasme propre à l’enfance. C’est avec tendresse que nous remarquons leurs sourires légèrement crispés ou entièrement spontanés, leurs regards de complicité et d’approbation, leurs doutes, leur joie d’être sur scène. Toutes ces réactions sont sincères car ce chœur est différent chaque soir de représentation et, bien qu’il ait répété les changements de scène et les chansons, il découvre la pièce en même temps que les spectateurs.

Le spectacle acquiert ainsi un caractère essentiellement pur et humain, et le chœur, dans sa vulnérabilité, développe une énergie puissante. Les personnages, en dialogue constant, s’adressent également aux choristes qui parfois interviennent individuellement, lisent des textes, posent des questions.

© Eric Didym

La référence au chœur grec et à l’idée du forum est évidente, mais elle prend ici une tout autre dimension : ce chœur devient un personnage à part entière car il est aussi question d’une chorale dans la trame même du spectacle ; il fonctionne comme appui au jeu des comédiens, jeu qui semble, de prime abord, d’une autre nature que celui des choristes, mais qui tend vers eux, entre en dialogue avec eux, et s’alimente de cette vérité spontanée ; il questionne la place du spectateur car il s’installe en face, en miroir, et lui renvoie son image ; il apporte, finalement, une couleur particulière à la pièce, que ce soit par son accompagnement en chanson comme par l’innocence et la vérité qui le caractérisent et qui font écho à ce dont il est traité dans le texte.

Et pourtant, il est question d’un acte inhumain, d’un évènement atroce qui, malgré tout, fait également partie de notre monde. Pourquoi ? Pourquoi cela fait-il partie de notre monde ? Telle est la question de Claire, le moteur qui la pousse à s’interroger sur l’assassin et sur la notion du bien et du mal, mais aussi sur elle-même.

Ainsi, elle en parle avec des dizaines de personnes –  sa compagne, son psychologue, le père du jeune homme, le leader du parti politique que l’assassin suivait, des journalistes  – pour essayer de comprendre si tel acte ne peut être commis que par un fou ou s’il peut être le fait d’une personne saine. Y a-t-il une raison qui expliquerait ce déchaînement de violence ? Y en a-t-il plusieurs ? Ou bien est-ce juste inexplicable, quelque chose d’incompréhensible qui se trouve au-delà de la raison ?

Beaucoup de questions pour peu de réponses et, comme unique certitude, le constat que le jeune homme est parfaitement sain mentalement. Discours psychologiques et dimension spirituelle s’entremêlent pour déterrer l’origine du mal chez l’être humain. Plusieurs problèmes sont évoqués : le racisme, la colère, la peur, la haine, la dépression… Aucune explication ne semble satisfaisante.

Texte, mise en scène et scénographie se font donc l’écho d’une même volonté : la recherche de la vérité. Il s’agit d’oublier tout artifice superficiel, d’en rester à l’essentiel et de l’utiliser comme base pour, ainsi, creuser plus profondément. Le résultat peut s’avérer primaire, basique, laid même – le squelette de la salle, le sentiment de solitude et d’incompréhension,  la torpeur des choristes, l’austérité du décor, la haine envers l’autre ­­– mais il ne nous trompe pas, il se heurte à la réalité et nous confronte à elle.

© Eric Didym

Le jeu des acteurs est très juste, il se heurte à l’authenticité des choristes et en adopte la naturalité. Nous sommes, en tant que spectateurs, conscients d’être devant un spectacle répété, et pourtant les échanges entre personnages, rapides, sincères, nous accrochent à l’histoire et nous guident dans cette quête spirituelle.Le tout se fait dans un certain désordre chronologique, où toutes les informations ne sont pas données depuis le début, où la multiplicité des personnages n’est pas toujours explicite, où les fantômes de Claire semblent se mêler à ceux de l’assassin. De cette façon, spectateur et protagoniste reconstruisent à deux les évènements et cherchent à trouver un sens au drame. En guise d’accompagnement, des chants émouvants, des visages d’innocents qui deviennent, à nos yeux, les victimes du massacre. Certes, une certaine fragilité émane de ce chœur qui met en évidence sa nature « vierge » sur la scène d’un théâtre et qui semble parfois maladroit. Néanmoins, une force différente en découle : la conscience, tant pour le spectateur et les comédiens que les choristes, de vivre un moment unique et d’une spontanéité qui n’aura plus lieu un deuxième soir de représentation. Quand ils prennent leurs cahiers et, en suivant du regard les comédiens et le pianiste, se mettent à chanter, nous sommes touchés par l’harmonie de leur chant et leur enthousiasme.

Cette histoire, fictive et lointaine, nous en rappelle toute une série d’autres bien réelles et si proches. Nous vivons, grâce aux Évènements, le choc qu’engendre le terrorisme, non seulement pour ses victimes, mais aussi pour une communauté. Expliquer l’inexplicable, surmonter l’insurmontable, ou bien simplement apprendre à vivre avec, savoir que cela existe, continuer de chanter.

En savoir plus...

Les Évènements

AVEC Romane BohringerMatthieu SampeurPierre-Emmanuel Kuntz (piano)
Et la participation de Yves Stopper / François Picard (en alternance)
Et à chaque représentation une chorale amateure associée au spectacle
MUSIQUE John Browne
SCÉNOGRAPHIE Chloe Lamford
CRÉATION SONORE Alex Caplen
CRÉATION LUMIÈRE Sébastien Rebois
COSTUMES Bohringer
DRAMATURGIE Oda Radoor, Brigitte Auer
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Yves Storper
MISE EN SCÈNE Ramin Gray