critique &
création culturelle
Les Young Art Reporters
reviennent du KFDA (5)

Les Young Art Reporters (abrégez en YAR) ont formé pendant un mois un groupe de jeunes journalistes constitué et encadré par le Kunstenfestivaldesarts et De Veerman. Karoo était là en toile de fond, pour les soutenir dans leur démarche. C’est au tour de Julien Van Boeckel de commenter la Plaza , dernière pièce d’El Conde de Torrefiel.

La Plaza . Un parterre fleuri, une place où les gens ne cessent d’aller et venir. Des gens sans visage, sans voix. Un espace où tout le monde va et vient, dans une sorte de chaos organisé où, parfois, il y a rencontre. Pourtant, la solitude est omniprésente. Cet endroit, c’est la  rue que tu empruntes pour rentrer du théâtre, c’est ce que tu ressens au fond de toi, au milieu d’une foule d’anonymes, dans un bar où la fête bat son plein, mais c’est aussi ce qui se passe au sein du public devant la nouvelle création d’El Conde De Torrefiel, écrit et mis en scène par Pablo Gisbert ainsi que Tanya Beyeler, et présenté au Kaaitheater.

Fidèles à leur dispositif habituel, ils te font voyager de tableau en tableau, traversés par des performeurs, accompagnés de différentes musiques et avec comme trame narrative un texte projeté sur un écran au-dessus de la scène. Immersifs et engageants, les mots qui apparaissent t’invitent à imaginer ce que sera ton retour chez toi à la fin de la pièce ; projet qui serait en cours depuis 365 jours et dont tu assisterais aux ultimes instants. L’expérience de la lecture est plutôt inhabituelle au théâtre. Normalement, tu t’assieds et tu écoutes. Mais ici, tu t’impliques, et tu te répètes les mots comme tu les entends. Tu relis ceux qui te font du bien. Tu détournes le regard face aux phrases qui t’angoissent. Tu dis non à celles avec lesquelles tu n’es pas d’accord. La discordance entre ce que tu lis et ce que tu vois est soulignée par les musiques, passant notamment du post-rock de Godspeed You ! Black Emperor à l’electro-club de Not Waving. Du silence au bourdonnement des enceintes pour enfin arriver à la musique, tu es emporté par l’univers sonore, et, quand tu vois ces tableaux de gens si calmes avec ces mots qui défilent devant toi, sur ce son de batterie de plus en plus intense, tu ressens ce que tu expérimentes au quotidien, sans t’en rendre compte, où d’intenses réflexions et pensées se bousculent dans ta tête, alors que tu es dans un calme physique total, ce moment où « lancé à toute vitesse sur l’autoroute, tu penses simplement à ta maman », pour reprendre les mots de Pablo Gisbert.
© Alain Dramé.

« Je suis plus réel que vous. »

Parmi un grand nombre de sujets évoqués, sans jamais avoir la prétention d’en développer particulièrement un, cette pièce parle beaucoup de solitude. La solitude que tu choisis en mettant tes écouteurs quand tu te balades, celle qui est due à ta situation de célibataire timide, celle qui t’es imposée par tous ces gens que tu croises et qui ne peuvent t’accorder un instant, celle que tu t’imposes pour ne pas savourer une soirée animée et te sentir vivre. Tu te rends compte que ta solitude, tu peux l’endurer comme une souffrance ou y trouver un refuge salutaire. C’est toi qui vois, au fond. Cette pièce te met aussi face à l’angoisse du vide sur la scène, du vide dans ta vie et te confronte donc à ce qu’il y a en toi, ce que tu désires voir sur le plateau, ce que tu as besoin de voir, entendre et sentir, où pour seul compagnon d’infortune, un texte s’adressant directement à toi en tant qu’individu unique qui t’emmène dans un voyage purgatif. Enfin, tu n’as pas que le texte pour t’en sortir. Nous tous, spectateurs, on est face à notre propre solitude et au potentiel néant, très angoissant, sur le plateau. Ce qui te réconforte, c’est de vivre ton isolement avec les autres.
© Alain Dramé.

« Travailler, baiser, mourir. »

Ces enchainements de tableaux, la musique qui ne s’arrête pas, les allers et venues sur le plateau, tu réalises que tout cela n’est qu’un cycle infini, où tu fais, défais tes propres expériences, malgré ce que tes aînés peuvent te dire, en dépit des slogans publicitaires que tu vois tous les jours en prenant le métro, et que, en même temps que toi, tout le monde fait pareil. Tu comprends que tout le monde avant toi est pris dans cette boucle, et que tous ceux qui passeront après toi également. Après cette heure et demi de représentation, ton expérience s’avère être vivifiante, apaisante et, pendant ton retour vers chez toi, bizarrement, tu te sens moins seul.

Julien sur le spectacle ‘Paradise Now (1968 -2018)’ de Michiel Vandevelde / fABULEUS dans le cadre de Kunstenfestivaldesarts 2018. Photos de Alain.

Tout est à retrouver sur youngartreporters.blogspot.com .

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