critique &
création culturelle
Entretien avec Loïs Low

La galerie Karoo expose cette semaine les illustrations de Loïs Low. Bien entendu, nous sommes partis à la découverte de son univers.

Faisons connaissance Loïs : qui es-tu et quel est ton parcours ?

Je suis un artiste plasticien résidant à Lille. J’ai suivi un parcours assez sinueux, je me suis un peu cherché. J’ai fait des études de lettres à la fac et puis d’anglais pour me rendre finalement compte que je n’étais pas fait pour un parcours classique. Je dessinais dans mes cours parce que je m’ennuyais et j’ai senti que j’avais peut-être quelque chose à tirer de tout ça. Ça m’a amené dans des études de beaux-arts et là je me suis vraiment trouvé. J’ai étudié trois ans aux Beaux-Arts de Cherbourg pour ensuite effectuer mes deux dernières années à Valence, dans la Drôme.

Lorsqu’on contemple ton travail, et même si ton style est très perceptible, on remarque que tu expérimentes beaucoup. Quelles sont les raisons t’ayant poussé à présenter cette série en particulier dans la galerie Karoo ?

J’ai voulu montrer la diversité de mon travail. Ce qui pourrait être jugé comme de l’éparpillement me caractérise particulièrement : cette curiosité, cette diversité des styles dans le style personnel. Il ne s’agit pas d’une série qui se suit mais qui est, je pense, la plus représentative de ma pratique. Je pense qu’il y a trois grands styles qui se distinguent dans mes œuvres à savoir de l’aquarelle pure, d’autres choses plutôt en all over dans lesquelles j’utilise l’aquarelle et le stylo, et enfin des œuvres dans lesquelles je me concentre sur une figure au centre de la feuille. J’ai eu envie de synthétiser cela dans cette série tout en montrant mon travail le plus récent.

L’humain est très présent dans cette série même s’il est assez déshumanisé ; tantôt mécanisé, tantôt dominé par la figure animale. Est-ce que c’est quelque chose dont tu as conscience lorsque tu crées ?

C’est quelque chose de conscient à posteriori, je dirais. Tu sais, moi, je ne raisonne pas par choix arbitraires. Je vais créer plusieurs motifs, plusieurs figures, et sélectionner ensuite ce que je garde ou ce que je jette. Après, oui je suis assez d’accord avec le terme « déshumanisé » mais ce que je veux dire avec tout cela, je ne le sais pas trop. Mes dessins sont là pour interpeller, pour qu’on se pose des questions mais je ne revendique rien, je ne dénonce rien. Je ne m’enferme pas dans un travail pour faire réfléchir les gens. Si, après, la déshumanisation de mes personnages permet de se questionner sur notre rapport à la nature par exemple, c’est très bien. La diversité des interprétations est très riche, je souhaite susciter des émotions auprès des personnes qui rencontreront mes œuvres. De plus, ce qui est très important pour moi, c’est que j’essaie de ne pas être trop sérieux quand je crée.

De quelle façon travailles-tu ? As-tu une idée qui mûrit dans ton esprit ou bien laisses-tu une grande place à la spontanéité ?

Comme il y a plusieurs types de productions dans ma production, il y a aussi plusieurs méthodes de travail mais disons que j’ai deux grandes façons de bosser. Pour ce qui est des all over , et en particulier Pink Paradise qui est exposé dans la galerie, la coulée rose centrale a été réalisée de façon complètement aléatoire. De cette forme sont nées les autres figures précises tout autour qui se sont construites dans mon esprit. Chaque personnage, chaque « monstre » est reconnaissable, je ne suis pas dans de l’abstrait. La coulée, elle, est abstraite, donc je lie abstraction et figuration, conscient et inconscient. Chaque « monstre » est né de façon inconsciente dans mon esprit mais cela reste des formes qu’on reconnaît. Ma démarche est proche de celle des surréalistes car elle laisse vraiment la place à ce qui n’est pas prémédité ou figé par une volonté précise. Ce dessin a été réalisé de cette façon-là. Après, je remplis toute la feuille de façon presque automatique en me servant de la forme qui a été réalisée précédemment. Et c’est en ça que je suis entre le contrôlé et l’incontrôlé. Ce qui est contrôlé, c’est la forme que je réalise à ce moment-là et ce qui ne l’est pas, c’est la forme qui va naître ensuite dans mon esprit.

Oreilles | A3 | aquarelle sur papier

Concernant l’ Oreille , j’ai voulu qu’elle soit très académique à la base. Je trouvais les creux et les pleins très beaux, il y avait quelque chose de baroque. Puis, en la réalisant, je me suis dit que cela avait un peu la forme d’une trompe d’éléphant, et voilà comment est née cette aquarelle.

Pour ce qui est de la Rouleuse de mécanique ,
je suis parti de l’expression « rouler des mécaniques ». Là encore, ma démarche s’approche des surréalistes qui pouvaient également partir de jeux de mots et laissaient parler l’inconscient.

Quelles sont tes inspirations passées et présentes ?

Je suis donc bien sûr parti des surréalistes avec Dali, Magritte ou encore Chirico. Mais s’il y en a bien un qui continue de m’influencer c’est bien Topor. Il a été très influencé par le surréalisme mais ce que j’aime chez lui, c’est qu’il est sorti de cela pour faire des choses complètement barrées avec un trait assez dur, un regard parfois noir et cynique sur la société mais jamais désabusé. Et ce que je retiens vraiment de lui, c’est qu’il était un peu touche à tout, il s’est affranchi des cases dans lesquels certains aiment enfermer les artistes. La littérature enfantine me plaît beaucoup aussi mais celle qui ne prend pas les enfants pour des imbéciles et je pense que Claude Ponti l’incarne très bien. J’aime beaucoup aussi Omer Bouchery qui est un dessinateur lillois peu connu mais qui s’est beaucoup attaché aux rues de Lille et à leurs ambiances. Mes inspirations sont vraiment très diverses au final. Elles vont du dessin de presse à la bande dessinée et font des liens entre art populaire et art contemporain. Je trouve d’ailleurs que l’art contemporain mériterait quelques bons coups de pieds au cul car il reste malheureusement bien trop souvent dans sa petite chapelle.

Justement, tu permets une belle transition car je voulais questionner ton regard sur l’art contemporain.

J’ai un peu déchanté sur l’art contemporain même si ma formation m’a permis de prendre conscience de l’importance des réseaux. Je ne crache pas sur ces réseaux, il faut être tout à fait honnête, mais je trouve que l’art contemporain représente une élite assez autocentrée ne cherchant d’ailleurs pas à s’ouvrir. Si monsieur et madame Tout-le-Monde y avaient accès, ils deviendraient très vite critiques et se rendraient compte que c’est un milieu qui brasse énormément d’argent. Quand tu vois qu’un des artistes contemporains les plus cotés est un type qui sort d’une école de commerce, tu as vite compris le système. De plus, l’art contemporain aujourd’hui se fonde essentiellement sur une histoire de concepts et de processus. Bon là, je suis très critique et je ne crache bien sûr pas du tout sur toutes les œuvres contemporaines. Je pense même qu’un bon dépoussiérage serait bénéfique aux artistes contemporains intéressants et je me demande si ce dépoussiérage ne passerait pas par la valorisation d’une formation un peu plus technique. J’ai bien conscience que cet académisme peut sonner vieille France mais je pense qu’il faut parfois apprendre pour désapprendre, qu’il faut revenir à des bases pour ensuite prendre la décision de s’en détacher, de les déconstruire, et là ça devient intéressant.

Tout autre chose…

S’il ne devait te rester qu’un seul bouquin, lequel serait-ce et pourquoi ?

C’est très difficile car ça ne va pas forcément être mon livre préféré, celui qui m’a le plus marqué parce que celui-là, ce n’est pas forcément le plus gai. Je pense que je voudrais que ce soit Demande à la poussière de John Fante. J’aime le fait qu’il ait du style et qu’il mette ses tripes sur la table. C’est un écrivain qui mélange sa propre vie d’immigré italien aux États-Unis, sa vie personnelle avec la vie universelle comme quand il parle de l’importance des objets sur l’individu ou des animaux. J’aime également le fait qu’il parle frontalement des choses. Il n’a pas de tabou, ou alors s’il en a, il fonce dedans.

Un film ?

La Grande Bellezza de Paolo Sorentino. C’est l’histoire d’un vieil aristocrate un peu blasé qui vit à Rome et qui se moque pas mal de son milieu mondain et notamment du milieu de l’art contemporain. Le type est blasé mais c’est très poétique. Il se balade dans Rome la nuit, bercé par tous ces apparats de fête mondaine, mais l’on sent que ça ne l’excite pas plus que ça. Mais il est quand même heureux, il flotte et c’est très beau. Cela donne envie de passer du temps à Rome.

Un album ?

Alors ce sera forcément les Kinks mais il y a trop d’albums, c’est difficile. Je dirais The Kinks Are the Village Green Preservation Society . Je l’aime beaucoup car il est cohérent. Peut-être que si tu m’avais demandé une chanson, je t’aurais cité une chanson d’un autre album. Mais concernant un album, avec celui-ci, on crée un monde d’A à Z à travers une dizaine de chansons. On y sent l’amour de Ray Davies pour l’Angleterre vernaculaire, la campagne anglaise, la nature, le rapport qu’entretient l’Angleterre avec ses jardins et ses fleurs. Ça semble un peu naïf mais il y a de la poésie. Pourtant, il met l’homme au milieu de cette nature mais il le fait d’une façon vraiment subtile.

Une œuvre plutôt issue du domaine des arts plastiques ?

Étonnamment, c’est le choix le plus difficile. Il y a quelque chose qui me vient tout de suite, c’est Peur(s) du noir de Blutch. C’est du dessin animé. En fait, il y avait eu une commande auprès de plusieurs dessinateurs pour réaliser ce dessin animé autour du thème « Peur(s) du noir ». C’est très sinistre mais terriblement poignant. Il y a plein de choses qui me parlent : le trait est très noir, on n’est pas dans quelque chose qui cherche à séduire le regard, il y a la présence féminine, c’est très sombre. C’est très effrayant, limite gore.

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