La mort,
parlons-en
tant qu’il fait beau
28 mai 2018 par Julien-Paul Remy dans Art & ko | temps de lecture: 7 minutes
Du 26 avril au 3 mai, l’exposition « La mort, parlons-en tant qu’il fait beau » a investi les souterrains du cinéma Galeries pour mettre en scène, autour du thème des soins palliatifs, les œuvres de photographes1 et d’étudiants de la Cambre en arts visuels. Et rappeler à quel point la mort n’est pas seulement une destination et un résultat, mais aussi un processus et un chemin.
Organisé par la Fédération Bruxelloise des Soins Palliatifs et Continus, l’événement vise à donner une autre image, plus « vivante », du lieu de mort que constituent les soins palliatifs et, partant, de la mort et des mourants eux-mêmes. Le caractère collaboratif de l’exposition (mêlant artistes et acteurs du milieu médical) reflète d’ailleurs la représentation des soins palliatifs déployée : comme lieu de collaboration.
L’exposition s’ouvre et se ferme sur une vidéo projetant un acte de respiration. Double portée symbolique. D’une part, montrer que les soins palliatifs représentent non pas seulement l’essoufflement du patient mais aussi, potentiellement, un second souffle. D’autre part, renvoyer au spectateur, pour qui l’exposition s’apparente à un lieu où reprendre son souffle, prendre le temps de respirer, voir, ressentir et s’interroger. Où s’arrêter face à la mort des autres pour mieux aller ensuite à la rencontre de sa propre mort.

Représenter la mort
En marge de l’événement, l’auteur Gabriel Ringlet a donné une conférence sur l’importance de parler du pire quand « tout va bien », d’aller vers la mort par la pensée avant qu’elle ne vienne à nous, afin de mener une vie non pas diminuée mais augmentée de la mort. S’arc-boutant sur la place paradoxale de la mort – omniprésence et dimension extra-ordinaire de la mort des autres à travers les médias, omni-absence et dimension ordinaire de notre propre mort – dans nos vies, il propose une philosophie de la mort convertie en philosophie de vie au service de l’instant présent.
La représentation artistique et visuelle de ces enjeux ne se limite pas aux oeuvres au sens strict puisque le lieu hébergeant ces représentations figure lui-même une représentation métaphorique de la mort, renforçant l’atmosphère d’intimité et l’aura spirituelle que celle-ci semble commander : la galerie souterraine du cinéma Galeries a des allures d’antichambre entre deux mondes, elle symbolise à la fois un au-delà et un au-dedans, comme si la mort, sombre et invisible, appartenait à une dimension parallèle lointaine, tout en couvant proche et à l’intérieur de nous, juste sous nos pieds.
Fait notable, l’événement rassemble deux domaines souvent séparés : le médical et l’art, incarnant respectivement le nécessaire (la santé du corps) et le non-nécessaire (produit de l’esprit), le superflu, l’ajout. Pourtant, les voici réunis, s’accompagnant l’un et l’autre vers un même horizon de sens.
Donner vie à la mort
Dans le contexte de la fin de vie, le patient possède potentiellement la liberté et le pouvoir de s’arracher au seul rôle de patient (subir, recevoir un traitement complètement étranger à soi) et de se muer, en partie du moins, en acteur de ses propres soins : non pas en agissant directement sur lui-même mais en faisant agir le personnel médical et son entourage conformément à son testament de fin de vie. Non pas un testament à appliquer à la mort de l’individu, mais bien à son dernier épisode de vie ; des dernières volontés régissant les derniers moments de la vie. Moyen pour le patient de s’approprier sa mort, de mieux la vivre en la rendant plus humaine et moins étrangère.
Si l’exposition ne dissimule pas la part d’obscurité, de violence et de souffrance présente dans les soins palliatifs, elle s’emploie avant tout à tordre le cou à certains clichés et à mettre en lumière la vie et la valeur qui peuvent en émerger. Certes, il s’agit d’un lieu où l’on (se) donne la mort (euthanasie) et où la mort se donne, symbole de la fin et de l’arrêt, mais il en va aussi d’un lieu où une autre vie peut commencer, une vie plus authentique où tout rôle social se voit aboli au profit de rapports humains libérés et d’une harmonie avec soi et le monde.

L’art s’attache ici à montrer la vie dans la mort, tantôt de manière frontale et directe (photos de patients en soins palliatifs, à domicile ou dans un centre), tantôt de manière indirecte, métaphorique et poétique, par le biais d’œuvres transgenres embrassant photographie, collage, montage et arts plastiques. À l’image de cette composition qui met en mouvement un point d’ombre se déplaçant d’un trou à l’autre en activant une sorte de décharge électrique lumineuse : la mort assimilée à un trou de lumière, à un espace vide capable d’accueillir et de contenir la plénitude, à une absence, une privation appelant à la présence d’autre chose, de la vie. Une perte en même temps qu’un gain potentiel.
Accompagner photographiquement
Au centre de la relation unissant le personnel des soins palliatifs aux patients se niche l’idée d’accompagnement : à défaut d’agir sur le résultat d’une maladie en la guérissant, leur travail vise à apporter une présence à l’individu en fin de vie tout au long de ce parcours. Accompagner signifie plus qu’assister : si une machine ou un robot est capable d’assister quelqu’un dans l’exécution d’une tâche, seul un être humain est en mesure de fournir un accompagnement, c’est-à-dire allier un savoir-faire et un savoir-être au profit du corps et de l’esprit d’une personne. Une unité de soins palliatifs apparaît comme un lieu de collaboration où une chaîne humaine composée d’acteurs des soins médicaux et psychologiques collabore avec les proches du patient pour évacuer tout sentiment de solitude et d’abandon et ainsi offrir, parallèlement à la fin d’une vie, le début d’une autre.
À cet égard, l’exposition met notamment à l’honneur le photographe Régis Defurnaux2, qui s’est employé pendant plusieurs mois à accompagner photographiquement des patients au sein d’une unité de soins palliatifs. Son but ne consistait pas seulement à prendre (en photo) mais avant tout à ap-prendre et à donner, une présence, sa présence. Il désirait distinguer sa démarche du reportage classique où domine une extériorité de l’auteur-spectateur à l’égard du sujet représenté, afin de donner une dimension plus humaine à ses photographies et d’être autant dans la vérité que dans la réalité (simple reproduction visuelle du corps d’un individu). Pour atteindre cette vérité artistique et humaine, Régis Defurnaux s’est immergé dans cet environnement en prenant la peine de partager au plus près l’intimité et le vécu des mourants et de leurs familles. Il souhaitait davantage « vivre les choses que les photographier ». Au cœur de sa démarche réside également la volonté de montrer autrement les personnes qui vivent avec la mort : de manière plus frontale et directe (non sans quelque douceur et bienveillance), loin des abstractions et métaphores régissant habituellement notre culture visuelle de la mort, car, selon lui, ne pas la montrer revient à la nier, elle et les mourants eux-mêmes.
Ainsi, cette exposition montre que la mort n’est ni inmontrable ni indicible lorsqu’elle est traitée avec suffisamment de distance pour permettre un point de vue, et de proximité pour éviter l’écueil d’une objectivation excessive et froide, grâce à l’art de la photographie, visant non pas à transformer le réel mais à le montrer autrement.
L'auteurJulien-Paul Remy
La lecture est mon oxygène, l'écriture ma respirationJulien-Paul Remy a rédigé 35 articles sur Karoo.
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