Dingdingdong est un institut de coproduction de savoirs sur la maladie de Huntington, mêlant malades, penseurs, artistes. Le Tarasloft accueille jusqu’au 1er mai une exposition de ses productions, notamment Anouck, portrait en peintures et en textes d’une malade.

Anouck est atteinte de la maladie de Huntington. Incurable, orpheline, dite « neuro-
dégénérative », ses symptômes peuvent être moteurs, cognitifs, psychiatriques. Le plus connu et le plus impressionnant est appellé la « chorée », des mouvements incontrôlables et brusques. La maladie affecte l’autonomie et peut mener à la mort. Huntington est une maladie génétique : l’enfant d’un malade a une chance sur deux d’être porteur de ce gène. Les porteurs du gène développeront avec certitude la maladie entre leurs 30 et 50 ans. Il existe un test permettant de savoir si l’on est porteur du gène par une simple prise de sang.

Alice Rivières est la fille d’Anouck. Elle a fait le test : elle est porteuse de la maladie. Cette annonce est tombée sur Alice comme un couperet, elle s’est entendue condamnée à la dégénérescence par la médecine. Comment envisager cet horizon barré par la maladie ? Ce test, techniquement simple, charrie autant de questions que de conséquences très lourdes. Comment vivre avec cette annonce de catastrophe ? Pour conjurer ce sort, Alice a un mot : Dingdingdong. Dingdingdong pour dédramatiser Huntington, Dingdingdong pour fabuler un autre devenir-huntingtonien.

Autour de ce problème s’est constitué un collectif de porteurs et de malades, mais aussi de philosophes, de plasticiens, d’historiens, de chorégraphes, de neurologues, de psychologues, etc. En 2012, Dingdingdong est né en tant qu’institut de coproduction des savoirs sur la maladie de Huntington. Sur base de témoignages, de travaux et d’œuvres académiques qui s’entre-nourrissent, Dingdingdong se veut un dispositif de création de ces savoirs sur le mode d’être-Huntington. Ce procédé cherche à permettre aux personnes concernées par Huntington, les malades et les autres, de sortir des promesses assassines pour commencer à réfléchir, à raconter des histoires, à créer des mondes autour de cet événement qui touche à ce qu’est être soi-même dans sa dimension la plus profonde.

Du 17 avril au 1er mai, Anouck et Dingdingdong s’exposent au Tarasloft. Magnifique espace à deux pas de la place Flagey, le Tarasloft est le lieu du collectif d’artistes Hoto-Moto. Ses membres, Julie Rouanne, Coline Sauvand et Marc Taraskoff, le partagent pour accueillir des tables d’hôtes, des expos, des conférences. Dingdingdong y trouve un nid confortable.

Aquarelle de la série Anouck, Alexandra Compain-Tissier.
Aquarelle de la série Anouck, Alexandra Compain-Tissier.

Sur les murs de la salle principale, les aquarelles d’Alexandra Compain-Tissier : vingt-deux instantanés de la vie quotidienne d’Anouck. Une fenêtre. Des pinceaux à maquillage. Une main. Les esquisses d’un équilibre construit délicatement. En miroir, vingt-deux textes très tendres d’Alice Rivières sur sa mère. On peut les lire dans le livre Anouck, publié par les éditions Dingdingdong et disponible sur place, ou les écouter lus par la comédienne Aurore Déon.

Alice Rivières possède une plume fine, élégante, juste. Ses productions sont distillées dans l’expo, petites gouttes lumineuses à glaner. La vidéo de sa performance La vie augmentée, journal d’une huntingtonienne est projetée un peu à l’écart. Sur un canapé dans l’obscurité, elle chuchote le texte d’un journal du futur, celui de son avenir fantasmé, avec la maladie et les modifications qu’elle opère, le temps distendu, les sensations exacerbées. Ses notes sur comment elle « organise la dérive ».

22 octobre 2030 : il y a longtemps, je me suis donné comme tâche de raconter ma métamorphose au fur et à mesure. J’étais naïve : je pensais qu’une métamorphose ça peut se raconter depuis le milieu, chemin faisant. C’était avant de comprendre que les chenilles deviennent de la boue d’elles-mêmes dans le cocon qui les transformera en papillons. Comment parler depuis la boue, et surtout pour dire quoi ?

À l’étage, on visionne Dr Marbœuf, une vidéo de Fabrizio Terranova. Le docteur Marbœuf est un médecin spécialiste de la maladie de Huntington. À l’unité expérimentale A. Rivières où il exerce, il est confronté à une patiente récalcitrante. En tout cas, c’est ce qu’il prétend. Cette pseudo-conférence d’un pseudo-docteur a été présentée au congrès international sur la maladie de Huntington en septembre 2013. À la grande fierté du collectif, bon nombre de véritables médecins sont tombés dans le panneau et ont pris au sérieux l’exposition des méthodes singulières de ce confrère, impliquant l’acceptation de l’hésitation à la place des protocoles tout faits.

L’une des réflexions du groupe porte sur la narration. L’annonce d’un résultat positif au test, celle de certitude de la maladie, est une histoire destructrice. Cette dernière peut se raconter autrement. Dans cette optique, deux jeux vidéo sont en cours de développement. Sur place, on peut en lire les projets et en voir les croquis germinaux. Le premier, Tremblator, met en scène Beyonce qui, touchée par Huntington, va devoir reconquérir le cœur de ses fans malgré ses gestes choréiques. Elle invente une nouvelle manière de danser que le joueur devra reproduire, à la Dance Dance Revolution.

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Dans le second, Foam Day, une surfeuse australienne huntingtonienne est tellement atteinte par la maladie qu’elle ne parvient plus à surfer. Mais un jour, dans sa douche, elle réalise que les mouvements choréiques incontrôlables qui l’empêchent de pratiquer son sport font proliférer la mousse de son gel douche Tahiti, et que grâce à cette mousse, elle parvient à garder l’équilibre. Le jeu propose de parcourir le monde avec elle, à la poursuite de la mousse et jusque Tahiti, source ultime de son inspiration. Le concept s’inspire librement de « Tahitidouche », un des projets d’Alice Rivières. La mousse est ce qui la protège, le médicament encore inconnu contre Huntington. « Huntington partagerait également ceci avec la mousse : l’anomalie comme condition de naissance et d’existence d’une présence qui n’existait pas jusqu’alors. »

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La « table des alliés » de Dingdingdong. Photo S.F.

D’où la présence, sur la « table des alliés », du récipient jaune Tahiti douche vanille. À ses côtés trônent des objets et des ouvrages qui accompagnent le collectif. Par exemple, un intriguant cendrier-narguilé. Cet objet a été ramené des Pays-Bas, où un soignant l’a confectionné pour permettre à un malade de fumer malgré ses gestes incontrôlés. La cigarette fixée au cendrier, reliée à la bouche du fumeur par des tuyaux, pas de risques d’incendie. À leurs côtés, les livres de penseurs qui les inspirent et ceux des chercheurs du collectif (citons notamment, dans le clan des Belges, la « marraine » Isabelle Stengers et Vinciane Despret), mais aussi des romans, des BD.

Ce qui se dévoile au fil de l’expo, c’est l’image d’un groupe qui se construit, de projets qui grandissent, de liens qui se nouent. Il faut se plonger dans les documents à disposition pour saisir un fil conducteur à travers le metlting-pot présenté, ne pas hésiter à écouter les explications des organisateurs. Une fois le processus enclenché, la multitude de références opère comme un vortex dont il est difficile de sortir. L’exposition au Tarasloft permet d’entrevoir des fragments du travail effectué par le collectif dans ses différentes formes. Pour le visiteur projeté dans cette galaxie, c’est l’occasion de poser à nouveau la question qui revient si souvent et possède le don d’agacer penseurs et artistes : « à quoi ça sert, ce que vous faites ? » Servir à quoi, c’est difficile à dire, mais en tout cas, ça peut « faire » tout ça !

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