100% Brussels
Rimini Protokoll investit Bruxelles ! Dans 100 % Brussels , les Bruxellois eux-mêmes sont sur les planches. À quoi ressemble donc cette ville insaisissable ? Qui est-il, ce peuple impalpable de Bruxelles ?
Bruxelles bruxellait et bruxelle encore
Bruxelles : dix-neuf communes, 1 154 635 habitants. 25 % de moins de vingt ans, 17 % de trentenaires. 67 % de Belges, 5 % de Français, 3 % d’Italiens, 3 % de Marocains. On peut continuer à dérouler la liste. Mais concrètement, qui sont les Bruxellois ? Melting pot énigmatique, Bruxelles se cache. Son identité consiste à n’en avoir aucune de bien arrêtée. Dans
100 % Brussels
, Rimini Protokoll donne corps aux données statistiques de la population. Le collectif convie sur scène cent Bruxellois sélectionnés pour incarner un échantillon représentatif de la ville. Les rejoignent cinq personnes supplémentaires représentant les habitants non-inscrits, étudiants étrangers, sans papiers ou diplomates. Cet agglomérat renvoie l’image d’un peuple bigarré : Flamands, francophones, anglophones, beaucoup de multilingues. On rencontre l’urbaniste en Brompton, la jeune Marocaine voilée, le Wallon émigré qui n’a pas perdu son accent, l’eurocrate bien habillée, l’ado fan de BD. Ces Bruxellois, on les croise dans le tram, à la commune ou aux terrasses des cafés. Ils avaient un visage ; ici, en plus, ils reçoivent une voix.
Le spectacle s’inscrit dans la lignée du « théâtre documentaire » développé par Rimini Protokoll. Leurs spectacles ne mettent pas en scène des comédiens professionnels mais des « experts du quotidien », c’est-à-dire des personnes incarnant leur propre rôle. Le collectif est un habitué du Kunstenfestivaldesarts, où fut par exemple créé le spectacle
Sabenation
, mettant en scène des anciens employés de la compagnie aérienne aujourd’hui disparue.
100 % Brussels
est une tentative de représenter non pas une communauté particulière comme lors des précédents projets mais une ville dans son ensemble.
Le spectacle commence avec le défilé des personnages. Chacun se présente en deux mots au micro. Une fois la petite foule alignée sur scène, plusieurs dispositifs visuels sont employés pour refléter la vie et la composition de la ville. Une journée se déroule en accéléré, les participants miment leur activité aux différentes heures. Puis différentes questions sont posées, les acteurs répondent oui ou non en se massant d’un côté ou de l’autre de la scène. Plus tard, ils brandissent une pancarte colorée pour signifier la réponse choisie. On chemine du plus anodin au plus bouleversant : le public rit quand les mains des enfants se lèvent toutes pour réclamer la place du plus fort, mais quand les quelques silhouettes de ceux qui ont fui la guerre se groupent sous les spots, les gorges se serrent. Les élections approchent, la politique est omniprésente. Qui va voter ? L’Europe sert-elle à quelque chose ? La Belgique existera-t-elle encore dans dix ans ? (Oui, répond la majorité des participants sous les applaudissements.)
La dramaturgie de 100 % Brussels fonctionne parfaitement ; l’enthousiasme côtoie l’émotion pure. Aux séances de questions succèdent des moments ludiques sous forme de défis collectifs ou de chenilles dansées, instaurant énergie et proximité. Et au-delà du rire et des larmes, le plus intéressant est ce qui se déroule à la marge, la part d’indécision soigneusement réservée dans la machine 100 % Brussels : les couacs et les complicités imprévues. Le punk prend par l’épaule une dame âgée de son côté de la scène, sourit aux enfants et ramasse les doudous. Les grands ados laissent passer une toute petite madame lors des rassemblements. Les plus autoritaires des acteurs jouent les gardiens et tirent par la manche ceux qui osent dévier de la trajectoire prévue. C’est par là qu’on entrevoit la dimension plus profonde du travail de Rimini Protokoll qui, dans ses projets ludiques et accrocheurs, pose une réflexion sur la représentation, la frontière entre le fabriqué et l’authentique. Que veut dire être là, sur scène ? Les projecteurs sont à un moment braqués sur le public, qui peut poser des questions et ne manque pas de s’exprimer bruyamment. Se sent-il représenté par les participants ? Mais quelque part, peu importe que le portrait soit fidèle, en tout cas il est tendre.