À propos d’Otrante
En marge des grandes — et parfois tonitruantes — maisons d’édition, se développent de modestes et ambitieux projets. Les éditions Otrante sont de ceux-là.
Sept publications à ce jour (dont une double) — et une huitième (passionnante !) annoncée pour septembre. Une exigence tant sur le contenu — excellentes préfaces, notes éclairantes, textes soigneusement choisis et mis en perspective historique et littéraire —, que sur l’objet lui-même : élégant, délectable.
Par une de ces rencontres heureuses qui peuvent parfois se faire sur la Toile, j’ai découvert leur maître d’œuvre : Florian Balduc. Comme il s’est patiemment plié à mon petit jeu de questions, je n’ai pas grand-chose à ajouter.
Découvrez Otrante et faites-en votre miel !
Quand, comment et pourquoi sont nées les éditions Otrante ?
Et pourquoi Otrante ?
J’ai acheté mon premier livre ancien, Fantasmagoriana , il y a une dizaine d’années. L’idée des éditions est tout simplement venue avec ce titre. Je me lassais quelque peu de la librairie ancienne, ou plutôt de ce qu’est devenu ce milieu, et je souhaitais retourner à ce pourquoi j’étais venu à exercer ce métier : partager des textes oubliés. Ce titre était parfait, cité dans la plupart des ouvrages traitant de Frankenstein , mais il restait curieusement introuvable, et personne n’avait visiblement eu l’idée de le rééditer. Je ne sais pas si en le publiant en janvier 2015, je prévoyais réellement de poursuivre, mais cela s’est fait le plus naturellement du monde.
Quant à pourquoi Otrante : il y a une dizaine d’années, j’ai dû choisir un nom pour ma librairie et je n’aimais pas l’idée assez classique d’y apposer mon nom. J’ai donc tout simplement choisi un nom qui parlait de lui-même, en référence bien évidemment au Château d’Otrante , le premier roman gothique (et nullement Fouché, duc d’Otrante, comme on me l’a si souvent demandé sur des salons…). Ce texte résume à lui seul les bases de ma librairie, mes choix et mes goûts : la charnière entre le dix-huitième et le dix-neuvième, le roman gothique, la littérature anglaise, le romantisme, et par extension le fantastique.
Pouvez-vous nous définir le champ éditorial de votre maison d’édition ?
J’aurais bien du mal à répondre, car je ne me suis jamais posé la question. Je suppose que la réponse doit se trouver dans les titres déjà édités. Certains disent que je suis spécialisé en romantisme noir. Je ne l’aurais sans doute pas dit ainsi, ne sachant pas précisément ce qu’est ou n’est pas le romantisme noir, mais je suppose que cela pourrait résumer la ligne éditoriale.
Qu’est-ce qui en fait la singularité ?
Peut-être tout simplement rééditer des textes oubliés et ignorés par les autres éditeurs ou spécialistes. Prendre le risque de tirer à petit nombre, en format in-8 avec couvertures rempliées, c’est-à-dire avec des coûts de fabrication supérieurs aux ouvrages type livre de poche, et de ne pas ou peu diffuser en dehors de mon propre site. Je ne me sens absolument pas éditeur, je suis un libraire qui édite, disons donc un libraire éditeur. À titre d’exemple, le volume de La Vampire, ou la Vierge de Hongrie contient le roman ainsi que la traduction inédite de cinq chapitres relatifs aux croyances, légendes et superstitions de la Transylvanie. Les textes étant parfaitement compatibles, il était pour moi logique et intéressant de les publier ensemble, alors que d’un point de vue commercial la plupart des éditeurs auraient choisi d’en faire deux volumes. Je tente simplement de mettre en avant des textes et des auteurs et de les donner à partager, rien de plus.
Quel fut le premier volume publié ? Était-ce également votre premier projet ?
Le volume qui marque le début officiel des éditions est Fantasmagoriana , mais j’avais déjà édité en 2011 un recueil de poèmes de Judith Brouste, illustré d’une eau-forte de Roberto Altmann en frontispice. Il s’agissait d’une promesse faite à Judith et l’aventure me plaisait, mais il n’y avait derrière ce livre ni l’idée ni le désir de poursuivre, il s’agissait juste de faire ce livre, petit livre d’artiste, comme un certain nombre de marchands de livres anciens ont déjà pu faire avant moi, rien à voir avec un véritable désir éditorial.
Comment naît le désir de construire tel ou tel volume ? Pouvez-vous nous donner un exemple ou deux de ce qui fait naître en vous l’envie d’une nouvelle aventure éditoriale ?
Jusque-là, je dirais que chaque volume naît plus ou moins du précédent. Il y a toujours un lien entre un titre et celui qui le suit, même lorsque j’alterne entre deux collections. La collection Méduséenne est consacrée au thème de la morte amoureuse dans la littérature du dix-neuvième siècle. Or l’un des deux textes cités par Mary Shelley lorsqu’elle évoque la lecture de Fantasmagoriana est La Morte fiancée . L’étudiant allemand victime de la belle inconnue dans les différentes versions des Colliers de velours est, dans certaines des nouvelles, nommé Hoffmann, et la version donnée par Alexandre Dumas est on ne peut plus clairement habitée par deux ou trois textes d’Hoffmann. Dans mon esprit, Fantaisies Hoffmaniennes était donc parfaitement lié à ce précédent ouvrage. Je laisse les lecteurs découvrir par eux-mêmes, mais tous les titres édités jusqu’à ce jour sont d’une manière ou d’une autre liés les uns aux autres. Je ne pense pas suivre une ligne précise mais l’idée est de couvrir le spectre de ce type de littérature et d’en combler les manques.
Quelle importance accordez-vous à l’objet livre ? À quelles exigences plastiques doit-il répondre ?
Mes exigences sont extrêmement simples, le volume doit ressembler à un livre, et pas à un prétexte de livre. Je tente de faire des livres qui ressemblent à ceux que j’aime prendre en mains. L’objet doit être présent mais sobre et s’effacer à la lecture, qui, elle, doit être le plus agréable possible. Mes formats correspondent plus ou moins au format in-8 du dix-neuvième siècle, sous couvertures rempliées, avec des marges suffisamment grandes pour ne pas nuire à la lecture. Et toujours à l’image du dix-neuvième siècle et de ce que devrait être un livre, je ne fais pas de volumes de cinq cents pages — Fantaisies Hoffmaniennes est ainsi composé de deux volumes d’environ deux cent quarante pages chacun, une véritable aberration pour le marché actuel, puisque cela sous-entend un double coût de réalisation et surtout de façonnage, qui plus est avec une couverture rempliée.
Pouvez-vous évoquer vos prochaines parutions ?
Étant donné qu’à part l’impression des livres, je travaille seul (idée de départ, recherche des textes, saisie, maquette, etc.), il m’est impossible de travailler sur un volume tant que le précédent n’est pas achevé. Mais j’ai néanmoins toujours deux ou trois ouvrages en attente (du moins en tête). Impossible donc de donner les titres des prochains mais il y aura très certainement un recueil de poésies, un second volume de la collection Voyageur enthousiaste , ainsi qu’un autre de la collection Méduséenne . Mais je n’en dis pas plus pour l’instant.
Qu’est-ce qui rend viable un tel projet ?
Si je dis que le projet n’est pas viable, personne ne me croira. Pour être le plus transparent possible, l’objectif premier, incroyablement original, est de rembourser les livres. Il est atteint pour tous les titres du catalogue. Pour ce qui est d’un bénéfice, chaque titre en a dégagé, certains plus que d’autres. Le projet éditorial n’est en aucun cas un échec, puisqu’il s’autofinance, mais le bénéfice est systématiquement réinvesti dans le titre suivant. D’autres expériences similaires n’ont pas fonctionné, ce n’est pas mon cas, mais une période plus longue est nécessaire pour pouvoir réellement répondre à la question.
Comment articulez-vous votre travail d’antiquaire bibliophile et votre vocation d’éditeur ?
Vu le temps consacré à l’édition, j’ai plutôt l’impression que, depuis un peu plus d’un an, l’édition est mon travail et la librairie ancienne une vocation… En raison du type de livre édité et du travail de recherche nécessaire à chaque volume ( Colliers de velours a, par exemple, demandé un peu plus de six mois de recherches), il m’est absolument impossible de concilier les deux. Depuis début 2015, la librairie ancienne est donc en sommeil, le temps de voir ce que donnent réellement les éditions et d’ajuster en fonction pour pouvoir redonner une place au livre ancien.
Peut-on imaginer que l’une ou l’autre de vos publications à venir inclue des textes en langue étrangère (accompagnés de leur traduction) ?
Un titre bilingue est prévu pour la rentrée, mais je ne change pas vraiment de domaine puisque, sans en révéler le titre, je peux dire qu’il s’agit de poésies anglaises de l’époque romantique, et que nous ne serons pas très loin de Fantasmagoriana 1 .
Par quel ouvrage conseillez-vous au lecteur de découvrir Otrante ?
Je suis très mal placé pour répondre à cette question. Le titre qui me vient en premier à l’esprit est nécessairement Fantasmagoriana , en raison de sa place dans l’histoire de la littérature. Mais je pense que La vampire est également un texte à découvrir, puisqu’il réunit à la fois un cadre gothique, la première vraie femme vampire de la littérature française et surtout la première morte amoureuse, bien avant Gautier. Et pour les amateurs de fantastique à la manière d’Hoffmann, Fantaisies Hoffmaniennes offre également une très belle réunion de textes. Mais je pense que je pourrais poursuivre et trouver des arguments pour tous.
Quel ouvrage d’Otrante déconseilleriez-vous — et à qui ?
Si je devais en déconseiller un, il s’agirait du premier tirage de Fantasmagoriana car, avec le recul, je n’en aime ni la mise en page ni la qualité du papier. Mais cela n’a aucune importance puisque ce premier tirage est depuis longtemps épuisé et qu’au regard des ventes régulières de ce titre, un troisième tirage n’est pas impossible – après tout, 2016 est l’année du bicentenaire de sa lecture à la villa Diodati !
Où trouver vos ouvrages ? En France, en Belgique, et ailleurs.
Nos ouvrages, que vous résidiez en France, en Belgique ou ailleurs, sont extrêmement faciles à trouver sur notre site ! J’ai quelques ouvrages en dépôt chez un ou deux collègues marchands de livres anciens, mais je ne distribue pas en librairie. Je réponds bien évidemment régulièrement à des commandes de libraires, mais vous n’y trouverez pas les éditions Otrante en rayon. Je réceptionne les commandes, y réponds par mail et expédie sous 48h, sous emballages « livre » cartonnés. Comme vous pouvez le voir, de la recherche des textes au traitement des commandes, tout est fait en interne, même la vente.
Merci à vous. Et longue vie aux éditions Otrante.
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Le titre est révélé ici : http://www.otrante.fr/byron.html ↩