Roman tissé de poésie
Roman tissé de poésie
et teinté d’humour,
Anvers ou les Anges pervers
de Werner Lambersy propose
une quête de soi labyrinthique
à redécouvrir
dans la collection
Espace Nord.
Je viens vers toi, Anvers. Je viens vers moi. Deux choses dont j’ignore à peu près tout ; qu’il a fallu que j’invente pour vivre au fur et à mesure du mythe, du mensonge et de la part de vrai que m’a consentie mon verbe. […] Anvers, oh ! ma grossesse de fille-mère avortée…
Ce passage méta-textuel décrit parfaitement l’objectif que poursuivait Werner Lambersy en écrivant Anvers ou les Anges pervers : le travail de son écriture éminemment poétique doit lui permettre de s’engendrer, d’accoucher de lui-même1 . Cependant, il s’agit d’un accouchement avant terme : la naissance du poète n’est pas arrivée à maturation puisqu’il lui manque ses origines. C’est pour cette raison que ses poèmes, son écriture poétique ne reçoivent pas sa reconnaissance et sont donc à son image : des bâtards.
Pour autant, l’écriture reste vitale pour Lambersy, puisqu’il nous apprend dans sa lettre à l’éditeur qu’on lui a « caché, travesti, arrangé les choses » et que la réponse à ses questions est en lui. Voilà pourquoi il « dénou[e] les fils de [s]on histoire et ceux de [s]es liens affectifs ». Son seul rapport au vrai, certes incomplet, reste donc le poème : c’est son « sperme géniteur, le Jupiter orgastique de [s]a naissance ».
Pour cet auteur aux repères identitaires fragiles, la quête de soi se réalise à travers une errance dans une Anvers aux contours aussi labyrinthiques que sa mémoire. Si le retour aux origines est impossible pour le poète, si celui-ci ne possède pas la clé qui lui ouvrira l’aube de son existence, le voyage de son écriture lui permet néanmoins de se construire au fil des mots. Lambersy forge son identité de diverses manières : à travers un style littéraire empreint de poésie (« Le ciel demeurait clair, sa page vierge attendant le paraphe de la foudre. ») et d’humour, en évoquant les attitudes héritées de son grand-père (coureur de jupons et joueur invétéré) et de ses pères, ou encore en rendant hommage à certains écrivains (Bauchau, Verlaine…) dont il applique des pensées ou modes de vie, ainsi qu’à des personnages et monuments importants de la culture anversoise (Elskamp, Roger van Rogger, la tour de Notre-Dame…).
Les femmes jouent également un rôle important dans la quête identitaire de l’auteur. Comparées à Anvers, elles se répartissent en trois catégories : sa mère qui l’a noyé sous les mensonges et a ainsi déclenché sa quête, les nombreuses amantes qu’il promène dans la ville et, enfin, la femme idéale qu’il n’a pas encore rencontrée. Cette dernière, dont la fréquentation ne ferait qu’augmenter le mystère, s’assimile au poème, le poème que Lambersy échoue à écrire.
Si Lambersy met en relief les touches lumineuses d’Anvers dans sa peinture de la ville, il n’en néglige pas pour autant les couches les plus obscures. Ainsi, il rappelle que sa cité versera, « devant ce qu’elle prendra pour un danger de dissolution », dans « la réaction pure et dure, la xénophobie, le racisme » et même dans le fascisme. Parfois même, Lambersy met en garde en rappelant que l’Histoire se répète : en critiquant l’intolérance religieuse du XVI e siècle qui entraîna l’exode des protestants et fit place nette aux soumis et aux conservateurs, il en vient à regretter qu’un certain « psittacisme politique » couvre le visage d’une extrême droite nationaliste, hargneuse et intolérante.