Dans ce pays utopique où mots et sons féconds sont récoltés à l’été venu, une place centrale accordée à la langue et à ses richesses lui permet de s’exprimer avec toute sa force. Avec son nouveau recueil, Paul Guiot nous fait découvrir une poésie musicale et imagée qui se construit passionnément au fil des saisons.
Dans cette poésie en prose, on retrouve une analogie entre la construction de la langue et les récoltes agricoles. À l’arrivée de la saison estivale, les habitants du pays se réunissent et travaillent main dans la main pour effectuer le rituel annuel de la récolte. Chacun œuvre à sa manière et participe aux différentes étapes de ce travail séculaire qui donne lieu et encourage la richesse et la complexité de la langue française.
La tâche que ces Bohèmes effectuent avec minutie se voit interrompue par une “horde” de gros mots arrivant en masse. Ils ne se soucient pas du travail effectué et détruisent ces nuances et cette complexité si précieuses pendant que les amoureux de la langue observent la scène, impuissants.
Cela renvoie à l’idée que se fait le poète de la situation actuelle de la langue et de la poésie dans nos sociétés modernes. Prose, rimes et vers auraient été délaissés au profit d’un langage quotidien pragmatique, cruel et insensible. Celui-ci ne rendrait plus compte des prolifiques richesses langagières utilisées auparavant. Paul Guiot défend ainsi une position conservatrice au sujet de la langue en la considérant comme un objet fini qui ne serait pas soumis au changement. Or c’est tout le contraire, elle se réinvente sans cesse grâce à l’inventivité permanente de ses praticiens. Elle s’actualise constamment et s’enrichit des particularités de chacun, sans pour autant détruire ce qui précédait. Guiot conclut son œuvre par un message d’espoir teinté de conservatisme : la langue ne meurt pas vraiment et se remet doucement de ses blessures, avant de reprendre le dessus. C’est un nouveau départ, ou une éternelle renaissance pour cette langue qui aurait tort de négliger les nouvelles choses qui se présentent à elle.
Tout au long du recueil, le lecteur se représente ce pays poétique grâce aux mécanismes langagiers du poète. En effet, les mots sont pour lui un terrain de jeu et d’expérimentation très fécond. Il n’hésite pas dans sa prose à faire des associations inventives de mots, syllabes et vocales, en usant de nombreux jeux de mots. Il multiplie les métaphores, les métonymies ainsi que les jeux sonores, tout en enchevêtrant les champs lexicaux. De cette manière, Paul Guiot met en scène de nombreux particularismes de la langue française qui aident le lecteur à se représenter ces mots en images.
De plus, les illustrations de Gwen Guégan jouent un rôle important dans cette représentation. Chaque chapitre est ponctué d’images aux traits fins en noir et blanc qui complètent le sens des mots. Cette association de langages, verbal et imagé, permet d’offrir aux lecteurs un ouvrage complet qui retentit au-delà de la sphère littéraire. Établir des liens entre les différentes formes artistiques telles que la poésie, le dessin ou encore la musique, c’est une volonté affirmée de la maison d’éditions Le Chat Polaire, qui souffle sa première bougie cette année. Dédiée à la poésie contemporaine francophone, la maison d’édition met un point d’honneur à associer chacune de ses parutions à un art visuel. À la fois auteur de poésie, de roman parodique, co-animateur de revue ou encore chanteur, Paul Guiot est un artiste multi-facettes qui s’inscrit dans la vision artistique promue par Le Chat Polaire.
Accessible aux lecteurs chevronnés comme aux néophytes, Au Pays des Mots à Sons livre une poésie contemporaine où jeux de mots, de sons et prose imagée et absurde se mélangent. Avec, en toile de fond, une conception partagée par beaucoup au sein de notre société moderne : « C’était mieux avant ». Le débat est donc ouvert.