Beat'ume
Quand le slam s'invite au théâtre

Avec son style singulier entre slam et rap, le duo Z&T ‒ composé de Zouz et T.A ‒ a enflammé le Théâtre National du 15 au 18 janvier. Casser les codes habituels du théâtre tout en s’adaptant à une audience plus variée qu’à l’accoutumée, tel était le défi auquel étaient confrontées Z&T pour présenter Beat’ume.
Habituées à arriver sur scène en scooter, nos deux artistes ont cette fois dû composer avec les exigences du lieu et ont donc accueilli les spectateurs en faisant des tours de scooter, musique à fond, en haut du grand escalier menant à la salle Jacques Huisman. Tout de suite, le caractère urbain du duo apparaît clairement comme une véritable revendication. Urbain, le collectif féminin Ruthless, présent en première partie de Beat’ume, l’est aussi, avec ses danseuses krump et hip-hop au rythme endiablé et à l’énergie contagieuse.
Beat’ume commence par des dialogues d’apparence banale entre Zouz et T.A, installées dans leurs chaises de camping et munies de leur sac à provisions. Peu à peu, des thématiques émergent et les deux artistes se lancent dans des monologues engagés entre slam et rap, se répondant et se complétant l’une l’autre sur les prods de YA$KA. Ces interludes sous forme de dialogues structurent en réalité tout le spectacle, emmenant le public d’un terrain à un autre, du slam au rap et vice-versa, mais toujours sur un ton grave mêlé d’une profonde sincérité. En effet, les éléments relatés par Zouz et T.A dans leurs textes sont tous issus de leur vécu, caractéristique importante de la culture slam, dont elles portent fièrement les couleurs. Les thèmes abordés démarrent le plus souvent d’anecdotes du quotidien, mais sont empreints d’un profond militantisme qui leur est propre. Elles n’hésitent pas à dénoncer ainsi le sexisme, le racisme et les violences policières dont notre société souffre encore quotidiennement.
Le slam se différencie essentiellement du rap par le fait qu’il est le plus souvent performé a capella, sans accessoire et dans un temps imparti de 3 minutes. Cette discipline se situe donc quelque part à la croisée des chemins entre la poésie et le rap, avec parfois des emprunts au chant et au théâtre pour compléter le tableau.

Tout au long du spectacle, l’attachement des deux artistes à la rue ‒ et de T.A à son scooter ‒ est particulièrement marqué, et ce malgré les nombreuses injustices dont elles ont été témoins ou victimes dans les rues de Bruxelles. Une partie du spectacle, intitulée « Sur le boulevard », relate particulièrement ces épisodes, dans lesquels transparaissent nombre de ces injustices. Ainsi, il y est question entre autres choses de contrôle au faciès, de harcèlement de rue et de violences policières. Beat’ume se caractérise également par un humour grinçant et une volonté de mettre en avant la sororité, véritables marques de fabrique de Zouz et T.A à chacune de leurs apparitions sur scène.
Elles ont beau se produire au Théâtre National, tout dans Beat’ume respire la rue, du titre à la mise en scène en passant par les textes et les modes d’expression, une volonté clairement assumée par Z&T.
« Nous ne quitterons jamais l’underground. Pour nous, ouvrir les portes du Théâtre National, c’est ouvrir les portes à d’autres spectacles du même type. En tout cas, c’est ce que nous espérons. C’est aussi une manière de dire aux slameur·ses et aux rappeur·ses : regardez ! C’est possible, faites des spectacles ! Nous encourageons vivement nos potes du slam et du rap à le faire.1»
Entré dans le slam il y a un peu plus d’un an, en décembre 2023, j’ai tout de suite découvert Z&T, dans un double rôle de MC’s et de slameuses. Intimidantes pour le timide néophyte que j’étais à mes débuts, elles sont progressivement devenues des figures familières dans mon univers, puis des soutiens précieux dans ma pratique du slam au quotidien. Membres du collectif de slam bruxellois Slameke et du collectif FINTA2 Anticyclone, Z&T ont à cœur de créer des espaces d’expression artistique bienveillants et inclusifs.
« Nous sommes des meufs du collectif ! C’est la force du slam et du rap ! Tu n’es jamais isolée dans tes problèmes personnels. Tu appartiens à une communauté au sein de laquelle tu partages tes expériences, tes questions. C’est très solidaire. Le côté “collectif” aide beaucoup dans une société qui n’est absolument pas collective3. »
Quand elles n’animent pas des scènes ouvertes ou des ateliers d’écriture, Zouz et T.A écrivent aussi des livres, comme celui de ce spectacle, publié en bookleg aux éditions maelstrÖm reEvolution, ou Sur le boulevard, tout nouveau recueil de textes également mis en scène dans Beat’ume, qui aborde différentes réalités sociales et discriminations au travers d’anecdotes de vie sur les axes routiers de la capitale.