Bergman in Uganda
Cette question, Markus Öhrn se l’est posée en entendant parler de la tradition des video jockey, sorte d’animateurs de salles de projection interprétant et commentant les films à l’attention du public. Après avoir traité la question du nouveau colonialisme dans de précédents projets — son installation vidéo White Ants , Black Ants (2010) et sa pièce We Love Africa and Africa Loves Us (2012) —, l’artiste interroge une nouvelle fois les rapports entre Africains et Européens.
Le dispositif, extrêmement simple, n’en est pas moins efficace. Deux écrans se font face et se répondent : sur l’un est projeté Persona d’Ingmar Bergman (1966), sur l’autre la captation vidéo de la séance à laquelle ont assisté plusieurs habitants du bidonville. Entre les deux, le public, à la fois spectateur de Persona et témoin des réactions de la salle ougandaise. Le regard se déplace sans cesse d’un écran à l’autre, pour suivre le match (amical, bien sûr) qui oppose les blanches et froides Suédoises aux Africains qui ne comprennent pas toujours leurs tourments existentiels. Le video jockey interprète le film d’une voix excitée de commentateur sportif, en tentant de rendre intéressant aux yeux des spectateurs ce chef-d’œuvre du cinéma européen. Les scènes plus contemplatives sont l’occasion pour lui de se livrer à des réflexions sur les différences existant entre leur société et la nôtre (la longévité, l’accès aux soins de santé, la politique des retraites) et de formuler ce qu’il ne comprend pas (le mutisme dépressif, le suicide par amour).
Le video jockey donne le meilleur de lui-même, mais le désintérêt se peint parfois sur le visage des spectateurs. Certains s’en vont, d’autres détournent le regard. Une jeune fille assise au premier rang se plonge dans un magazine et ne relève les yeux que de temps en temps, lorsqu’un commentaire du video jockey attise sa curiosité.
Bergman in Uganda propose une expérience à la fois très riche et très forte. La façon dont réagissent ces gens à mille lieues de nos préoccupations bourgeoises face aux questions existentielles posées par Ingmar Bergman nous apprend évidemment beaucoup sur eux, mais plus encore peut-être sur nous.
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Nous vous proposons un regard croisé en néerlandais sur ce spectacle avec les étudiants de la faculté des lettres de la KU Leuven campus Brussel (HUBrussel). Pour découvrir deux autres points de vue :
www.cobra.be/cm/cobra/podium/podium-recensie/1.1962394
www.cobra.be/cm/cobra/podium/podium-recensie/1.1962378