critique &
création culturelle

Bruce Clarke : l’art comme devoir de mémoire

L’artiste britannique d’origine sud-africaine Bruce Clarke participe aux commémorations officielles des vingt ans du génocide rwandais,
le 7 avril 2014. Ses Hommes debout seront présentés sous la forme de projections lumineuses et de kakémonos dans plusieurs lieux emblématiques, comme la place des Nations à Genève, la route de l’Esclave au Bénin ou le Parlement européen à Bruxelles.

Né à Londres en 1959, Bruce Clarke a étudié aux Beaux-Arts de Leeds et milité contre l’Apartheid en Afrique du Sud. Installé depuis de nombreuses années en France, il intègre son engagement à sa recherche plastique. Son travail traite de l’histoire contemporaine, de l’écriture et de la transmission. Il est notamment l’auteur du projet le Jardin de la mémoire (2004-2014), sculpture mémorielle sur le génocide des Tutsis, implantée au Rwanda et soutenue par l’UNESCO.

Bruce Clarke – photo Le Télégramme

Dans la même lignée, les Hommes debout est un projet d’art public mural réalisé sous la direction de Bruce Clarke, en collaboration avec les associations de rescapés et les autorités rwandaises, sur des sites liés au génocide : des lieux de massacres tels les bâtiments publics, des écoles et des églises. Le premier objectif est de donner une image forte et belle au peuple rwandais afin de l’aider dans son travail de reconstruction et d’affirmer que les rescapés restent debout et dignes malgré les épreuves.

Le volet que l’artiste présente ce printemps cherche ainsi avant tout à rendre hommage aux victimes et aux rescapés :

J’ai cherché à faire des images qui aient plusieurs couches de sens, explique-t-il. J’aime l’idée que l’œuvre soit un piège, qu’elle suggère différentes choses. Dans le cas des Hommes debout , je voulais représenter les victimes et les rescapés du génocide comme des individus, leur rendre leur dignité. L’idéologie génocidaire a tendance à anéantir la valeur humaine, à déshumaniser, afin de rendre l’acte de tuer plus facile. C’est cette dimension que je voulais contrecarrer par mon travail.

Clarke n’a pas souhaité représenter fidèlement les victimes du génocide. Ses Hommes debout ne sont pas des portraits mais des compositions :

Il s’agit de personnages recomposés d’après des éléments photographiques. C’est là que réside pour moi le véritable défi : suggérer l’individualité, parvenir à trouver un équilibre entre l’anonymat et le portrait. Les visages et les postures doivent être réalistes mais pas trop : je veux qu’ils suggèrent la dignité, la droiture des victimes du génocide, sans qu’ils soient pour autant écrasés par le poids de la morale. C’est difficile car toute posture est connotée…

Influencé par le mouvement « Art & Language », qu’il a découvert et côtoyé au cours de ses études à Leeds, Bruce Clarke interroge sans cesse les possibilités de l’art comme véhicule
d’idées :

L’art peut véhiculer un concept, un message, mais il faut rester très modeste par rapport à cela. Un tableau n’est jamais qu’un écran coloré. Il ne véhicule aucun message politique ou universitaire : il peut au mieux jouer un rôle de tremplin pour mieux réfléchir, être un incitateur pour le spectateur, qui y projettera ce qu’il veut y voir. Les Hommes debout peuvent ainsi amorcer une réflexion sur l’identité des figures représentées : qui sont ces victimes, ces rescapés ? Les montrer sur la place publique permet d’assumer la reconnaissance historique du génocide rwandais, de réaffirmer la réalité de l’événement dans l’histoire.

En cours d’implantation sur les lieux de mémoire du génocide au Rwanda, le projet des Hommes debout a pour second objectif de rencontrer l’indispensable devoir de mémoire que nous nous devons de réaliser en tant qu’Européens, explique Bruce Clarke :

Comme le dit l’écrivain Elie Wiesel, le génocide tue deux fois, la seconde par le silence. Le négationnisme n’est rien de moins que la perpétuation du projet génocidaire, et c’est cela qu’il faut à tout prix éviter aujourd’hui, tout autant que les propos qui tendraient à considérer le génocide rwandais comme un sous-génocide par rapport à la Shoah, par exemple. Un génocide est un crime contre l’humanité, et cela nous concerne tous. Le discours relativiste et raciste, encore fréquent dans l’opinion publique, qui proclame que l’Afrique est une terre de conflits ethniques, est bien évidemment à proscrire.

Aux yeux de l’artiste, il s’agit aussi de remettre l’Europe face à ses responsabilités, de rappeler son absence de solidarité et sa complicité passive dans les événements de 1994.

Les Hommes debout seront visibles en projection lors de la soirée
« Rwanda, 20 après » organisée par le CEC, le mardi 1er avril à 20 heures au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

www.uprightmen.org